Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Thierry Carlin, l’alchimiste du grand bleu
Diplômé de SeaTech, ce Toulonnais consacre depuis 20 ans l’essentiel de ses recherches à la production d’eau potable. Des brevets qui intéressent de plus en plus de pays déficitaires
Avec Pierre Becker, son « modèle », – celui qui a su très tôt déceler son talent, sa passion–, Thierry Carlin est un peu l’alchimiste du grand bleu. Son obsession : transformer les océans en or. Bleu, évidemment. Pour ce diplômé de l’Institut des sciences de l’ingénieur de Toulon et du Var (1), la fameuse pierre philosophale n’est pas une chimère. Elle existe bel et bien et a pour nom la matière grise. Depuis bientôt 20 ans, Thierry Carlin consacre toute son intelligence et ses connaissances à la production d’eau potable pour les pays déficitaires. Avec quelques beaux succès. Ainsi, à l’été 2003, les caméras de Thalassa ,puisles télévisions du monde entier les montrent, lui et son patron d’alors – l’incontournable Pierre Becker – se délectant visiblement d’une eau puisée en surface au large de Menton! Si, presque quinze ans plus tard, la résurgence de La Mortola n’est toujours pas exploitée, « la “tulipe”, deuxième évolution du projet Nymphea Water de captage des sources sous-marines, elle, est toujours en place », affirme Thierry Carlin, non sans une certaine fierté.
Bientôt des prospections en Iran
L’installation immergée par 40 m de fond à la frontière entre France et Italie n’est d’ailleurs pas le seul vestige de ce fameux été 2003. Outre une bouteille «d’une eau pure, moins salée que de la Badoit » que l’intéressé garde dans son bureau, « les images continuent de tourner sur TV5 Monde ». C’est d’ailleurs en les voyant que l’État iranien a contacté il y a un an l’ingénieur toulonnais, désormais à la tête de Marine Tech, la société de génie maritime qu’il a créée en 2014 avec trois autres associés. « L’Iran est le château d’eau du golfe Persique. Les choses sont un peu compliquées car le pays était sous embargo encore récemment, mais d’ici à la fin de l’année on devrait
commencer une campagne de recherche de sources sous-marines. De 30 % aujourd’hui, cette activité pourrait alors représenter 90 % de notre chiffre d’affaires », s’enthousiasme Thierry Carlin. L’Iran n’est pas le seul pays à faire appel à ce sourcier offshore. « En 2009 et jusqu’au début de la révolution, on a réalisé une campagne de recherche le long des côtes libyennes. On a identifié 32 gisements. Les plus gros en Méditerranée. Le contrat avec le ministère de l’eau est toujours en vigueur. » Plus à l’est, la Terre promise, dont les réserves en eau douce sont mises à rude épreuve par plusieurs années de sécheresse, a eu moins de réussite…
Répandre la vie
Mais Thierry Carlin n’est pas homme à baisser les bras face à la fatalité. De ces recherches infructueuses en Israël lui est venue l’envie de fabriquer de l’eau potable en distillant de l’eau de mer. Après plusieurs années, un prototype breveté, baptisé Helio, a enfin vu le jour l’été dernier. À l’image d’Hugo Drax, le méchant de Moonraker, énième épisode de la saga James Bond, Thierry Carlin espère inonder la planète de ses sphères transparentes. Pas pour y semer la mort, mais pour y répandre la vie. « Avec le seul rayonnement solaire pour l’évaporation, et l’éolien ou l’énergie des vagues pour transporter l’eau de mer jusqu’au système, une sphère sous vide, d’un encombrement au sol d’à peine 1 m2, est capable de fournir entre 5 et 10 litres d’eau potable par jour, soit de couvrir les besoins quotidiens d’une famille de 5 personnes », affirme l’ingénieur varois. Une mini-usine de dessalement en quelque sorte, mais écologique, autonome et d’une durée de vie de 30 ans. Alors que chaque année 2,6 millions de personnes dans le monde meurent encore à cause des maladies liées à l’eau, Helio fait naître l’espoir. L’invention n’est d’ailleurs pas passée inaperçue puisqu’elle a reçu le prix EDF lors du dernier concours départemental Var Terre d’Innovation. Reste à convaincre un industriel. « Un géant de l’eau ou un groupe pétrolier au travers de sa fondation. Les seuls à pouvoir en assurer la promotion à travers le monde et négocier avec les états ». À ce sujet, Thierry Carlin, résolument optimiste, mise beaucoup sur la démonstration programmée cet été depuis le port SaintLouis à Toulon. Le cerveau en ébullition, il a déjà les plans d’une première usine de production qu’il espère voir construite dans le Var à l’horizon 2020, pour une capacité de 2000 à 4 000 sphères. Comme une urgence.
Si l’eau c’est la vie. Sa vie à lui, c’est l’eau”