Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Non, les hommes n’ont pas le monopole des émotions Dossier
Parce qu’ils en sont eux aussi affectés, les animaux permettent aux scientifiques de progresser dans la connaissance de la neurobiologie des émotions
Non, les hommes n’ont pas le monopole des émotions. La peur, l’anxiété, la vigilance... « Ces émotions existent aussi dans le règne animal et elles ont une fonction », martèle Thomas Lorivel, ingénieur de recherche à l’IMPC à Valbonne. Chez l’homme, comme chez l’animal, c’est le cerveau qui les fait naître et les contrôle. « Les émotions dépendent de structures très anciennes, situées pour la plupart au centre du cerveau. Parmi elles, l’hippocampe et les amygdales que l’on retrouve chez tous les mammifères, et notamment chez la souris, sont aujourd’hui bien connus. Pour mieux comprendre les émotions, on a besoin d’étudier ce qui se passe au niveau de ces structures cérébrales. » Si l’on a coutume d’envisager les émotions comme des événements ou des sentiments conscients, leur nature est bien plus diverse. « L’émotion est une réponse adaptative qui présente des composantes physiologiques, corporelles et comportementales. La peur, par exemple, va se traduire par une accélération du rythme cardiaque, des bouffées de chaleur, et inciter à prendre la fuite, s’il existe une échappatoire, ou à affronter » .Une réponse que l’on retrouve chez l’homme, comme chez l’animal. Les recherches sur la nature des émotions ont amené les chercheurs à étudier ces réponses comparables. « Les travaux chez l’homme sont beaucoup plus complexes à mener, dans la mesure où, contrairement à l’animal, l’être humain a conscience de ses émotions et tendance à les contrôler ou les interpréter. Si cette maîtrise existe probablement aussi chez des animaux sociaux, c’est sans commune mesure avec ce que l’on observe chez l’homme. »
Le conflit approche évitement
Les souris sur lesquelles veille Thomas Lorivel avec la plus grande attention (lire ci-contre) participent à de nombreuses recherches conduites au sein de l’IPMC sur la dépression, l’autisme, l’anxiété etc., et ont permis souvent de faire des découvertes majeures (lire ci-dessous). « Tous ces troubles peuvent être étudiés chez l’animal, en évaluant leurs états émotionnels. » Et pour cela, les scientifiques utilisent divers tests. Comme celui « du labyrinthe en croix », destiné à mesurer l’anxiété. « Ce labyrinthe est composé de deux couloirs de 50 cm fermés à leur extrémité, et de deux autres ouverts. Placé dans ce labyrinthe, l’animal est pris dans un conflit : il aime explorer, mais dans le même temps, les bras ouverts sont aversifs pour lui. Les souris en effet n’aiment pas les lieux ouverts, sachant qu’à l’état sauvage, cela signifie s’exposer à l’attaque de se retrouve aussi chez l’homme et il est très typique de l’anxiété. C’est cet état dans lequel on se retrouve par exemple à l’approche d’un examen : on sait qu’il faut y aller, mais dans le même temps, c’est aversif. » Les études chez l’animal sont conduites en respectant un cahier des charges et un cadre réglementaire très strict, fixé par une directive européenne. Chaque projet impliquant des animaux est ainsi soumis au préalable à un comité consultatif d’éthique qui donne – ou pas – son accord. « Sachant justement l’existence d’émotions chez l’animal, celui-ci est considéré comme un être sensible qui mérite le respect ; on évite à tout prix qu’il ne souffre. L’environnement dans lequel il vit en laboratoire doit ainsi lui permettre de s’épanouir. Ne pas respecter ces règles, non seulement n’est pas éthique, mais c’est aussi délétère au niveau scientifique. La douleur, le stress, les émotions négatives en général favorisent la synthèse de molécules qui ont des effets généraux sur l’organisme de l’animal et biaisent ainsi les résultats des études », insiste Thomas Lorivel.