Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Changer de GPS
Par
CLAUDE WEILL
Il y a quelque chose de fascinant dans le parallélisme des réactions qu’a provoquées, chez Hamon et chez Fillon, l’annonce du soutien de Valls à Macron. Dans l’un et l’autre camp, on a voulu y voir une bonne nouvelle. Ce n’est pas le moindre paradoxe de l’affaire. Tandis qu’Emmanuel Macron se gardait de pavoiser, tant il redoute d’être enchaîné au quinquennat finissant, les proches de François Fillon n’étaient pas loin de sabrer le champagne. Selon Valérie Pécresse, le ralliement de Valls est « le baiser de la mort pour Macron » : la preuve définitive que le candidat d’En marche !, on vous l’avait bien dit, est un socialiste masqué, le clone de Hollande. De quoi ragaillardir les militants républicains et remobiliser les partisans du vrai candidat de la vraie droite. À gauche, même raisonnement, symétrique et inversé : en votant pour Macron, Valls, le traître, le parjure, jette le masque. Et démasque du même coup – « Qui se ressemble s’assemble », dit Martine Aubry, jamais en manque de vacheries et de dictons – ce damné Macron qui, on vous l’avait bien dit, n’est décidément « ni de gauche, ni de gauche », mais bel et bien de droite. De quoi requinquer les militants et convaincre les électeurs socialistes de se rassembler autour du vrai candidat de la vraie gauche. On va voir. Attendons que l’événement infuse. Peut-être en sera-t-il ainsi et les brebis égarées rentreront-elles in fine au bercail. Mais alors, ce serait plus qu’un tournant dans la campagne : un retournement. Car ce qui la caractérise jusqu’ici, c’est justement qu’elle sort des schémas habituels et invente une dramaturgie inédite, qui n’est pas celle de l’affrontement binaire gauche-droite. Manifestement, il y a des gens qui ont du mal à se repérer dans ce paysage en recomposition. Le cas Hamon est exemplaire, pour son obstination à se tromper de campagne. C’est-à-dire à confondre la présidentielle avec une bataille de congrès socialiste, où il s’agit de démontrer qu’on est plus à gauche que l’autre. À force de draguer (en vain) la gauche radicale et de taper sur la gauche modérée, il a déjà réussi à perdre à millions de voix. Mais on ne change pas une tactique qui perd. Acculé sur la ligne des %, il fusille (moralement) les déserteurs et intensifie les frappes contre Macron. Fort de sa victoire à la primaire, il semble penser que voter pour lui relève d’un impératif démocratique. Le problème, c’est qu’en démocratie, on peut convaincre les électeurs, on peut les séduire ; sûrement pas les contraindre ou les culpabiliser. Quant à Fillon, engoncé dans le blindage qu’il a endossé pour se protéger des ravages de « l’affaire », il a doublé la radicalité de son programme d’une rhétorique complotiste qui galvanise le noyau de son électorat. Mais à quel prix ? Dans le dernier baromètre du Figaro-Magazine, % des Français seulement souhaitent qu’il joue un rôle important à l’avenir (-!). Loin de Mélenchon ( %), Macron ( %) Hamon (%), et même de Le Pen ( %). Là encore, ses lunettes gauche-droite, obscurcies par son succès à la primaire, lui ont fait faire une mauvaise lecture de la réalité : il a pris le rejet de Hollande pour une envie de droite radicale (dans les premiers du baromètre Sofres, il y a un seul républicain : Juppé) ; l’exigence de renouvellement pour un désir d’alternance. Oui, pour comprendre cette folle campagne, sur fond de rejet des partis classiques, il faut changer de GPS et comprendre que l’affaire, cette fois, se joue moins entre la gauche et la droite qu’entre forces traditionnelles et nouvelles offres politiques. Toute la question, pas encore tranchée, est de savoir ce qui finalement prévaudra : la capacité de résilience du « système » ou la volonté des électeurs de renverser la table. La renverser en douceur avec Emmanuel Macron ; ou brutalement avec Marine Le Pen.