Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Tué l’amiral Nelson ?
Des deux tomes que constituent les Mémoires de Robert Guillemard, sergent à la retraite, nous avons extrait le passage dans lequel le faux marin six-fournais prétend avoir tué l’Amiral Nelson : « (…) Le Redoutable avait en face de lui un vaisseau anglais à trois ponts sur lequel se trouvait Nelson. Le Redoutable lui envoya sa première volée de boulets de canon. Le vaisseau anglais riposta. Déjà, des cris de douleur et de mort s’étaient fait entendre sur le pont et dans les batteries du Redoutable. Dès la première volée, un officier et plus de trente marins ou soldats étaient tombés morts ou blessés. Nos gabiers d’artimon avaient été tués. Deux matelots et quatre soldats, dont je faisais partie, reçurent l’ordre de les remplacer dans la hune. Comme nous y montions, un de mes camarades fut blessé à côté de moi, et d’une hauteur de trente pieds fut précipité sur le Il alla ensuite à Paris, où il rendit compte secrètement de son exploit à l’Empereur. Sa carrière se poursuivit en Allemagne puis en Russie lors de la terrible campagne de 1 812. Sa carrière se termina aux côtés de Murat, ex-roi de Naples, beau-frère de Napoléon, qu’il aida à fuir, en 1815, en passant par Toulon. Le livre connaît un succès fou en France et en Angleterre. Il est traduit en anglais et en allemand. En Allemagne, Goethe luimême commente l’ouvrage. Tout le monde, bien sûr, veut rencontrer le marin français. Mais l’éditeur Delaforest fait savoir qu’il tient à garder l’anonymat pour ne pas mettre sa vie en danger. Les historiens épluchent les détails du récit. Tout est précis, cohérent. C’est à cause d’un épisode étranger à la bataille de Trafalgar que la supercherie sera découverte: l’amiral de Villeneuve n’aurait pas été pont, où il se fracassa la tête. » Robert Guillemard monte sur cette plate-forme d’observation située au haut du mât principal qu’on appelle la hune. « Arrivé dans la hune, j’aperçus sur l’arrière du vaisseau anglais, à assassiné mais se serait suicidé – hypothèse qui, d’ailleurs est à nouveau mise en doute de nos jours. Si cet épisode est faux dans le livre de Guillemard, tout le reste peut l’être aussi, concluent les historiens. Leurs doutes deviennent de plus en plus sérieux.
Une rue à Toulon
C’est alors qu’en 1 830 un certain Alexandre Lardier, fils d’un notaire de SixFours, avoue : c’est lui qui a écrit le livre, il a tout inventé, Robert Guillemard n’a jamais existé ! Lardier a été aidé dans son récit par un homme politique marseillais, Charles-Ogé Barbaroux. Dans une lettre publiée dans les Annales maritimes et coloniales (année 1830, tome II, p. 184), il écrit : « Guillemard n’est qu’un personnage d’imagination, et ses prétendus Mémoires un roman historique ». Cela étant, l’information demeure. Un siècle plus tard, le 7 octobre 1933, dans un reportage sur la côte méditerranéenne, le magazine travers une épaisse fumée, un officier couvert de décorations, et n’ayant qu’un bras. D’après ce que j’avais entendu dire de Nelson, je ne doutai pas que ce fût lui. Il était entouré de plusieurs officiers auxquels il paraissait donner des ordres. J’aurais pu ajuster les individus, mais je tirai successivement sur les différents groupes. Tout à coup, j’aperçus sur le Victory un grand mouvement, l’on s’empressait autour de l’officier dans lequel j’avais cru reconnaître Nelson. Il venait de tomber, et on l’emportait recouvert d’un manteau. L’agitation qui se manifesta en ce moment me prouva que je ne m’étais pas trompé et que c’était bien l’amiral anglais… » On comprend qu’après avoir lu une description aussi précise, tout le monde a cru que c’était la réalité ! L’Illustration de Paris, parle de Robert Guillemard comme d’un personnage réel, héros de Trafalgar. Mieux : en 1942, la municipalité de Toulon donne le nom de Robert Guillemard à une rue importante du centreville, parallèle au port. Le personnage n’est nullement présenté comme un héros de fiction mais bien comme un personnage réel ! La cité
Les mémoires inventés de Robert Guillemard
de Six-Fours ne pouvait pas faire moins : en 1967, la municipalité débaptise le chemin du Brusc et lui donne le nom d’avenue RobertGuillemard. Les riverains savent-ils que le personnage dont leur rue porte le nom n’a jamais existé ? Une question demeure à présent: mais qui a tué l’amiral Nelson ? Le dernier survivant du combat de Trafalgar se nommait Louis Cartigny. Né à Hyères le septembre il fut fait prisonnier à bord du Redoutable et emmené en Angleterre où il est resté pendant dix ans. Doyen des chevaliers de la Légion d’honneur, il est mort à Hyères le mars à l’âge de ans. Un rond-point, à Hyères, porte son nom. Au XIe siècle, sur le piton rocheux qui surplombe l’actuelle commune de Roquefort-les-Pins (aujourd’hui située dans les Alpes-Maritimes), se trouvait un village fortifié appelé le Castellas – château de Roquefort – rocher fortifié. L’enceinte, construite en arc de cercle et bâtie de pierres de taille, abritait des habitations, un château, une église et un donjon. Elle s’étalait sur près de 3000 m² présageant d’une population conséquente et d’une place stratégique dans la défense du littoral. Aujourd’hui, seuls des vestiges éparpillés dans les taillis témoignent de sa gloire passée, malheureusement entachée par une sordide histoire. Aussi loin que remonte son passé, le territoire de Roquefort appartenait à l’abbaye de Lérins, jusqu’à ce qu’elle le cède à la commune de Saint-Paul de Vence en 1241, qui installe le prieur Féraud de Cabris, à la tête de l’église du Castellas. Rapidement, le moine quitte la robe et s’empare du château. Assoiffé de pouvoir, il arme un grand nombre de gens aux fins d’attaquer voyageurs et communes voisines.
Le sinistre prieur détruit le château de Draguignan
Menés par le moine défroqué, les villageois assiègent les châteaux et tuent ceux qui refusent de se soumettre, laissant dans les mémoires l’incendie meurtrier du château de Draguignan (aujourd’hui commune du Var). Féraud sème la terreur et il devient notoire que Roquefort est un repaire de dangereux brigands conduits par un moine. En 1341, Robert d’Anjou (1277-1343), roi de Naples et comte de Provence décide de mettre fin à ces exactions et ordonne la destruction du castellas de Roquefort-les-Pins. La population se mobilise alors pour parer à l’attaque des gens du roi. Profitant de l’absence des hommes, partis brigandés, les soldats investissent le château et le brûlent avec tous ceux qui sont à l’intérieur, agissant de même que Féraud à Draguignan. Voilà la triste fin du Castellas de Roquefort, victime des folles entreprises d’un moine défroqué, devenu chef de bande et dont l’ascendant avait dévoyé toute une population. Si un témoignage relatif à cette histoire est cité dans L’Abbaye de Lérins de Henry Moris, archiviste de l’abbaye (1884), rien ne précise où, comment ni quand, a disparu le fougueux moine ! Roquefort-les-Pins va renaître vers 1588, lorsque s’installent 400 familles sur des parcelles, situées sur un plateau en contrebas des vestiges du triste Castellas et placées au centre d’un carrefour de circulation entre Grasse, Saint-Paul et Antibes. Mais, le village moderne ne va réellement prendre vie qu’au XIXe siècle. Le site du Castellas est un but de promenade au départ de la Colle-sur-Loup. Sources : « Les Châteaux du Moyen Age en pays d’Azur » d’Edmond Rossi, Alandis éditions ; « Sur les sentiers de l’histoire » de Marie-Christine Lemayeur et Bernard Alunni, éditions Mémoires millénaires et ville de Roquefort-les-Pins.