Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Virginie Martin à l’Honneur
Interview La Brignolaise Virginie Martin a reçu hier la Légion d’honneur dans les salons du ministère de l’Education nationale. L’occasion d’évoquer avec la politologue la campagne
Des bancs du lycée Raynouard aux ors du ministère de l’Éducation nationale, la Brignolaise Virginie Martin porte haut les couleurs de sa ville natale. Son parcours professionnel est en tout cas maintenant marqué d’une prestigieuse reconnaissance nationale. La politologue et enseignantechercheuse a, en effet, été nommée au grade de chevalier de la Légion d’honneur pour vingt-huit ans de services. Et a reçu, hier soir, la Croix des mains de la ministre, Najat Vallaud-Belkacem. Avant de recevoir cette distinction sous les yeux de sa fille Cassandre, l’auteure du roman Garde-corps a bien voulu nous apporter ses commentaires éclairés et sans concession sur la toute proche échéance électorale.
Que représente pour vous la Légion d’honneur ? La Légion d’honneur en tant que telle, je n’y suis pas particulièrement sensible. En revanche ce que ça veut dire derrière de parcours professionnel, d’engagement, de présence publique… Ça, j’y suis sensible. Je suis contente aussi que ce soit Najat Vallaud-Belkacem qui me remette la Légion d’honneur.
Quel regard portez-vous sur cette élection présidentielle ? Un regard très désabusé. J’ai la sensation que cette élection a été un petit peu volée, captée. L’attention a été portée finalement sur des bulles, des concepts médiatiques. Que ce soit la création de Macron, les affaires de Fillon, les hologrammes de Mélenchon… Ça était une campagne du tout communication et du rien politique. Je trouve que c’est assez affolant, plutôt inquiétant et très frustrant. J’aurais voulu que l’on entende plus les idées, les confrontations de points de vue, des enjeux qui me paraissent importants comme l’écologie par exemple.
À vos yeux les programmes n’ont pas été assez détaillés ? Le programme et les idées de Hamon n’ont pas été soulignés. Le programme très radical de Mélenchon a été bien caricaturé ou bien il n’est pas connu. On ne retient de Fillon que le fait qu’il a une famille qu’il aime beaucoup. Voilà, c’est une campagne qui a touché le fond du creux médiatique.
La faute à qui ? La faute à un grand perturbateur politique qui est Emmanuel Macron. Il est venu s’imposer dans ce jeu de manière assez violente. Pour imposer une candidature si fraîche, il faut y aller à force, force, force de couverture médiatique. Se faire voir. Se faire voir toujours. Se faire voir encore. Quand il n’y a pas d’appareil politique, il y a qu’une tête qui dépasse. Mais au-delà de ce matraquage médiatique dans cette campagne de la Présidentielle, il y a eu les primaires que j’ai toujours critiquées. Je pense que quelle soit la primaire, c’est une idiotie.
Pourquoi ce constat? Il n’y a rien de plus démocratique que l’absence de primaire. De toute façon, on s’assoit dessus puisque Hamon n’a pas un mec du PS qui le suit. Fillon avait la légitimité des primaires du coup il a tenu bon alors qu’il aurait certainement mieux fait de partir. S’il avait été ennuyé comme candidat des Républicains sans primaire, il serait parti. Tout ce que je viens d’évoquer précédemment – cumulé aux primaires, aux affaires et au manque d’éthique – a créé une Présidentielle complètement folle, ratée à des moments aussi importants. Les Français sont fatigués. Le travail est rare, difficile quand on en a. C’est tendu au niveau international et puis tous ces gens s’amusent à faire du show. Le seul qui essaye de faire une candidature non show-off, c’est Hamon. Et il se retrouve bientôt à %. C’est quoi la morale de l’histoire. C’est finir par poser dans des magazines toutes les semaines. C’est comme ça qu’une campagne présidentielle se gagne. Est-ce que c’est sérieux. C’est ça ou bien c’est en faisant du populisme à tous crins à la Le Pen ou à la Mélenchon. Pour ce qui aime la politique et pense que c’est un sujet sérieux, cette élection est honteuse.
Que pensez-vous de ce nouveau principe de débat réunissant les candidats comme celui annoncé ce jeudi ? Je trouve que ça ne marche pas très bien. À la fin, on est à dix minutes maximum de temps de parole par personne. Ça revient à quelque chose de très bref. Donc, c’est l’art de la rhétorique qui prévaut. C’est l’art de faire le buzz. On retient la pudeur de gazelle de Mélenchon, l’immunité ouvrière d’un Poutou, une Le Pen très en retrait, la retenue de Macron... Au final, la caricature des programmes est audible mais pas son authenticité politique, sa véracité. Et puis, la campagne a été très courte pour les petits candidats et ceux sortis des primaires.
Ressentez-vous un manque de repères des électeurs entre la droite et la gauche? Entre la gauche et la droite, je ne suis pas sûre. Il y a un manque de repères parce que personne ne réunit ce que les électeurs voudraient. Pour eux, certains candidats n’ont pas la carrure. D’autres n’ont pas le programme. Quand il y a la carrure, il n’y a pas le programme. Et vice et versa. Qui, en fait, pour l’ensemble et la majorité de la population, a la carrure et le programme, point d’interrogation.
Quelles lignes fortes, pour vous, doit suivre le futur président ? Je trouve que de toute façon on aura raté les grands rendez-vous sur cette Présidentielle. On va avoir ces cinq ans a minima. Selon moi, des choses étaient déjà importantes sur les questions régaliennes : la justice, le terrorisme, l’extérieur, la Défense nationale, européenne... Je ne suis pas sûre qu’un candidat parmi les favoris réponde correctement à cela. Je pense également que tout ce qui est écologie, société du bienêtre, bienveillante, doit être porté. Il faut absolument adoucir cette société française dans laquelle les gens sont hyperstressés, à la limite de craquer. Psychologiquement, médicalement.
Quelle est votre actualité professionnelle ? Ça fait presque neuf mois – depuis que je suis venue à Brignoles – que je marche très mal. J’ai vraiment des problèmes de mobilité autrement je vais très bien. En fait, tout ça m’a permis de prendre beaucoup de recul sur cette Présidentielle – je n’ai pas pu faire de plateau télé donc pour des raisons de santé – et du coup je me suis remise à plus écrire notamment dans des publications. Et puis aussi, on est en train de faire des essais pour une petite chaîne sur YouTube. On a fait un numéro cette semaine, sur Emmanuel Macron et le parti attrapetout. Ce soir (hier soir, Ndlr), on sort une deuxième vidéo sur les sondages. À partir du avril, on va proposer une petite capsule toutes les semaines. Je tourne ainsi de manière moins industrielle mais je suis très contente parce que je signe vraiment une bulle(s) politique(s) – c’est comme ça que ça s’appelle – avec de bons retours. Je peux quand même plus en dire que lorsque je suis en plateau télé. C’est aussi ma signature, mon ton, mes idées. J’espère apporter mon côté académique. Je suis très contente. En France, il y a peu de sociologues, de politologues qui ont décidé de faire « leur chaîne ».
Du tout communication et du rien politique ” Cette campagne a touché le fond du creux médiatique ”