Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

NOS LECTEURS DANS LA CAMPAGNE

Dernier volet de notre série présidenti­elle au quartier de l’Ariane, au nord de Nice. Rencontre avec des seniors plus attachés à leur quartier qu’aux hommes politiques

- CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr

Au nord de Nice, le fil fragile des seniors de l’Ariane avec la politique

trois jours du premier tour de l’élection présidenti­elle, nous plaçons les électeurs au coeur de la campagne. Ugo, patron du Bistrot du curé, nous sert de guide dans le quartier de L’Ariane à Nice. Les Arianencs commentent la campagne, jaugent les candidats, évoquent leurs conviction­s, leurs doutes, leurs attentes. Leurs coups de gueule aussi.

On pousse la porte du Bistrot du curé. Air d’accordéon, nappes à petits carreaux, Ugo et ses grosses lunettes nous accueillen­t. L’homme est un personnage. Sa carte électorale est en évidence sur le comptoir. Et il n’a pas sa langue dans la poche : «Ici, à 90 %, les gens se foutent des élections. Tant qu’il y a le RSA qui tombe le 8 du mois. » Avec une pension de 800 euros, Ugo, retraité actif, se présente comme « le baron de la bourse plate » mais a toujours cru à la valeur du travail dans un quartier où le taux de chômage dépasse les 20 %. Il a côtoyé au gré de sa carrière les plus riches (à Monaco) et les plus modestes (à l’Ariane). Fustige « cette société où tout est donné ». Il boit le café avec Antoine le gitan qui, lui, ne votera pas. Il sort de prison. Arnaud entre pour s’attabler, suggère d’abandonner l’euro, source, selon lui, de tous les maux. « Le grand soir n’est plus possible. Et aujourd’hui, tout le monde a des crédits. On a tous quelque chose à perdre en sortant de l’euro », oppose Ugo. Hedi, artisan du bâtiment, musulman, cinq enfants, double culture française et tunisienne déguste un plat de pâtes. «Le quartier a changé plus vite que ses habitants. Malgré les efforts de la mairie et des associatio­ns, certains continuent de jeter leurs déchets n’importe où. » Guitariste de jazz à ses heures, Hedi chante un éloge à la France : « J’adore ce pays, sa culture politique, son calme malgré le terrorisme. » Hedi trouve de bonnes idées dans tous les programmes mais avoue un faible pour Macron. Dans la sinistrose ambiante et la menace terroriste, il veut croire en la jeunesse même s’il souhaitera­it que ses enfants se sentent davantage concernés par les élections : « Leur priorité, aujourd’hui, est de faire ce qui leur plaît. L’argent passe après. Ils s’adaptent, ont la fibre écolo et ça me rend optimiste pour l’avenir. » En partant de chez Ugo, on se dit qu’on y a croisé des gens ouverts et passionnan­ts. « C’est pour ça qu’il n’y a pas grand monde, plaisante Ugo. Parce qu’il faut bien dire qu’on est entouré d’une majorité d’idiots ! » À deux pas, un autre lieu de conviviali­té : le club des Lucioles. Les retraités prennent du bon temps sous les frondaison­s. Il ne faut pas insister longtemps pour qu’ils débattent de l’élection. Même si Alain, ancien hospitalie­r, quarante ans de service, l’annonce d’emblée : «Je ne vote plus depuis 1981. Trop déçu par les politiques et les syndicalis­tes, menteurs et voleurs. » Il se range dans le camp des abstention­nistes. «On sera bientôt majoritair­e », préditil. Il écoute les onze candidats mais aucun ne trouve grâce à ses yeux. « Tiens voilà Giscard ! », lance Patrick, 62 ans, goguenard. « Giscard », c’est Hassen, physique filiforme et calvitie qui rappelle l’ex-Président. Un copain tunisien l’accueille par un tonitruant : «Moi je vote Marine. Comme ça, tu partiras le premier ! » Si les parents d’Hassen sont d’origine marocaine, lui est né à La Trinité. Il est conducteur d’engins, adore la pétanque et le pastis. Son coeur balance entre Macron et Fillon, «les seuls qui tiennent la route. » Patrick l’interpelle : «Eh dis, Fillon il a été quand même aux affaires non ? » « Et puis l’Europe, moi, je n’en ai rien à faire. Moi j’avais dit non à Maastricht. » Patrick ne dira pas pour qui il votera. mais au fil de la conversati­on, on déduit pour qui il ne votera pas ! Émile, dont l’accent trahit des racines calabraise­s, constate que « les jeunes Français ne veulent plus travailler dans le bâtiment». Que ceux qui ont les plus belles voitures dans le quartier tirent leurs revenus de trafics inavouable­s. « Pour moi Sarko était le seul valable », tranche-t-il. Ici, au clos, le melting-pot est saisissant. Et si tout le monde s’entend si bien et se respecte, c’est parce que la politique et la religion s’invitent rarement à l’heure de l’apéritif. Certes, les pensions de retraite restent atones, les petits-enfants galèrent pour décrocher un premier emploi, l’image de Fanny, fesses à l’air, a été caillassée et le voile gagne du terrain, mais Alain admet que son quartier, coupe-gorge des années quatre-vingt-dix, va mieux : « On a tout ici. La seule chose qui manque c’est un cinéma. » « Et les commerces ouvrent tard », se félicite Émile. Preuve que ce quartier dans lequel nombre de Niçois du centre-ville n’osaient s’aventurer, a évolué. Pas suffisamme­nt encore pour croire aux lendemains qui chantent des candidats à la présidence de la République.

De bonnes idées dans chaque programme”

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(Photos Franck Fernandes) Chez Ugo, qui tient le Bistrot du curé : « On est dans une société où tout est donné ».

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