Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Patrick Hayère, comme tout le monde, mais en fauteuil

À 47 ans, ce Varois d’adoption, tétraplégi­que après un accident de la circulatio­n en 2008, intervient au service de la Prévention routière. Pour que ça n’arrive pas aux autres…

- VÉRONIQUE GEORGES vgeorges@nicematin.fr

Lorsqu’il témoigne dans les établissem­ents scolaires, les entreprise­s ou les services publics, son propos est cru. Comme la vérité, la réalité. Tétraplégi­que après un accident parce qu’il s’était assoupi au volant de sa voiture entre Gap et Grenoble en 2008, Patrick Hayère est intervenan­t départemen­tal de la Prévention routière. La première fois qu’il est allé dans un CFA après le drame, c’était pour en évoquer les conséquenc­es et la vie avec un handicap. « J’étais avec le docteur Tournebise, chef du service médecine physique et réadaptati­on de l’hôpital Renée-Sabran, et Thibaut Barrois, se souvient-il. Je me suis lancé, les mots sont sortis facilement, les jeunes ont posé plein de questions. Au début, c’est thérapeuti­que, ça permet de parler de son problème, d’avancer. Je le conseille à tout le monde. » Le chemin a néanmoins été long pour en arriver là. « Je pensais sortir de Renée-Sabran en courant ! Je n’acceptais pas le handicap. J’ai même eu envie de mourir. On a le droit de vouloir partir quand on est cloué dans un lit sans pouvoir rien faire, ce n’est pas suicidaire. Maintenant, je me rends compte que j’étais égoïste. Ma fille m’attendait. » Il s’est battu pour cette enfant née quatre mois plus tôt. « Zélie, c’est mon moteur. Elle m’a toujours connu handicapé. » À 38 ans, il est reparti à zéro, a réappris à se déplacer seul, à manger seul, ce qu’elle apprenait en même temps. « J’ai la chance de l’avoir et elle a la chance d’avoir un papa. Tous les enfants n’ont pas cette chance. » Et aussitôt d’ajouter : « De toute façon, on n’a pas le choix. C’est vivre ou mourir. Et vivre, c’est quand même plus beau ». Surtout quand on est sportif et que l’on aime aller vers l’autre. Valide, Patrick Hayère faisait de la course à pied, du VTT. Désormais, c’est handi rugby et plongée sous-marine. «J’ai besoin de partager, d’affronter le monde, ditil. Mais dans mon monde, tous les handis ne sont pas comme ça. Des tas d’entre eux ne bougent pas, ne sortent pas de chez eux, en veulent à la terre entière.» Ce Varois d’adoption puise aussi sa force et sa volonté dans son parcours.

Au moment de l’accident, il vivait et travaillai­t dans l’hôtellerie­restaurati­on à Salernes, à la fois comme salarié et artisan. «Je n’ai jamais eu une vie ordinaire et elle ne le sera jamais. Je veux être indépendan­t, avoir un logement, un emploi, vivre comme avant. » Il se déplace en fauteuil roulant, prend les transports en commun, ou conduit son fourgon aménagé, actuelleme­nt en panne. Il s’est mis à son compte entre 2013 et 2015, en ouvrant un parc de jeux indoor, mais le temps lui a manqué pour le développer et « les banques ne suivent pas ». Après avoir grillé toutes ses économies, car sa pension d’invalidité du RSI (un peu plus de 600€ )ne suffisait pas à assurer ses besoins, il vient de recevoir le feu vert pour un complément. « J’ai galéré pendant neuf ans et je me bats encore pour faire valoir mes droits . » En attente d’un logement social, Patrick Hayère votera aux prochaines élections, sans illusion. «Ilya de l’argent en France. Mais il est mal géré par les hommes politiques. Quand on les voit se déchirer, alors qu’ils devraient travailler ensemble pour la France, pour nous… » Il habite actuelleme­nt dans un appart-hôtel à La Garde. « Les lois sont à double tranchant. Un propriétai­re ne peut pas virer un handicapé. Du coup, personne ne veut nous loger dans le parc privé. »

La souffrance de la famille

Il vient de peaufiner son CV et va l’envoyer à de grosses entreprise­s du secteur, « les seules qui peuvent nous accueillir, puisqu’il faut des toilettes, des portes et des accès adaptés. Je bouge les bras, mais les doigts sont paralysés. Je pourrai faire de l’accueil, pas être enfermé dans un bureau. Je veux me montrer, montrer que j’existe ». Ses yeux brillent quand il parle de sa fille, de ses amis sportifs et du public qui le remercie après un témoignage. «Dans un groupe, il y en a toujours un qui est buté, borné, qui pense être le roi de la route. Mais les autres comprennen­t le message. » Le sien est en deux temps. Pour le côté sécurité routière, il insiste «on a toujours le choix avant, de ne pas prendre le volant si on a bu, de mettre sa ceinture et le clignotant, de ne pas téléphoner au volant, de s’arrêter si on est fatigué. Avant, car une seconde après, c’est trop tard ». Ensuite il se fait plus intime : «Ily a encore des idées reçues. Beaucoup pensent qu’on ne peut pas rester lourdement handicapé suite à un accident, que soit les médecins vous réparent, soit on meurt. J’étais comme tout le monde avant l’accident, c’est-à-dire valide. Aujourd’hui, je suis encore comme tout le monde, mais en fauteuil ! » Il souligne aussi la souffrance de sa famille, le regard des inconnus, tout en restant positif. « Grâce au handicap, on ne se prend pas la tête pour des futilités. On sait distinguer les priorités, assure-t-il. Le pire des handicaps pour moi, il est mental et il est chez les valides : les gens ont tout et ils se plaignent ». Lui est capable d’affirmer : «Je suis tombé dans la merde. Au bout de neuf ans. Elle commence à sentir bon!» Langage cru, on vous disait...

Je veux montrer que j’existe”

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(Photo Patrick Blanchard)

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