Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Cellule Cannes-Torcy : la Côte d’Azur au coeur du procès

De la mosquée à un séjour fondateur en camping-car, c’est à Cannes que ce groupe terroriste a fomenté ses projets d’attentats. Au premier jour d’un procès hors normes, le constat est édifiant

- À PARIS, CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Il est 2 h du matin, ce 30 juin 2012, quand Jérémy Bailly prend la route du sud. Au volant du camping-car qu’il a emprunté, le jeune Sarcellois met le cap sur Cannes. C’est là que se réunit, quelques heures plus tard, toute la bande agrégée autour de lui et de son leader Jérémie Louis-Sidney. « C’était un séjour touristiqu­e. Mais les participan­ts s’aperçoiven­t que Bailly et Sidney sont armés. Sidney a un Magnum et une grenade dont il ne se sépare jamais. En réalité, lors du séjour à Cannes, le groupe préparait la commission d’attentats... » Le rappel des faits est édifiant. Il est brossé avec clarté et précision par Philippe Roux, président de la Cour d’assises spéciale de Paris, devant laquelle s’est ouvert hier matin un procès hors normes. Attentat à la grenade contre une épicerie casher à Sarcelles, attaque déjouée contre des militaires varois, filière syrienne... Le groupe Cannes-Torcy répond de funestes projets. Pour la première fois dans l’ère du djihadisme moderne en France, une cellule terroriste est jugée dans son ensemble. Vingt accusés, âgés de 23 à 33 ans, encourent des peines allant de dix ans prison à la réclusion criminelle à la perpétuité. Au premier jour de ce procès fleuve (verdict attendu le 21 juin), un constat : la Côte d’Azur occupe une place centrale.

Été  à Cannes, « le séjour le plus marquant »

Un chiffre, d’abord. Sur les vingt accusés renvoyés aux assises, douze sont issus du « groupe de Cannes », qui gravitait autour de la mosquée Al Mounawara. Les autres fréquentai­ent la mosquée de Torcy, formée le 11 avril dernier pour « incitation­s au djihad ». Dix accusés comparaiss­ent dans le box, sept sont libres, et trois sont visés par des mandats d’arrêt. Ne manque qu’un grand absent... C’est Jérémie Louis-Sidney, gourou de la bande, abattu par la police à Strasbourg lors du vaste coup de filet du 6 octobre 2012. « JLS » habitait la région parisienne. Mais il a vécu à Cannes, où il a fondé une famille. D’après son entourage, ce délinquant multirécid­iviste s’est mué en « fanatique religieux, virulent et dangereux ». Fasciné par Mohamed Merah, il nourrit une haine tenace des juifs et des militaires, et se prépare « à passer à l’acte au nom de ses conviction­s radicales ». Il va s’y atteler à l’été 2012, avec son équipe réunie sur la Côte d’Azur. Quelques mois plus tôt, plusieurs « séjours fondateurs » ont été organisés en Égypte ou en Tunisie. « Mais le séjour le plus marquant est celui dans le sud de la France » ,remarque le président Roux. Lors de cette drôle de colonie de vacances, le groupe fomente de funestes projets contre de prétendus « ennemis de l’islam », tout en se livrant à des vols de véhicules. « JLS » et Jérémy Bailly sont repérés à Cannes à bord d’une Peugeot 206 volée avec Sydney Descoups – un ami du cru, très connu de la police. Un scooter est volé au Cannet.

Projets violents déjoués

Le 5 septembre, une Alfa Romeo disparaît à Vallauris. Elle sera retrouvée le 19 à Sarcelles, incendiée, après l’attaque à la grenade de l’épicerie casher Naouri. Par miracle, la bombe chargée de trois mille billes s’est logée sous une rangée de chariots. Son explosion ne fait qu’un blessé léger. Mais la cellule Cannes-Torcy vient de passer des paroles aux actes, de façon spectacula­ire. Et déjà, elle prépare « l’acte II ». Les policiers en acquièrent la certitude en octobre 2012 quand ils découvrent à Torcy, dans un box au nom de Bailly, un arsenal et des composants explosifs. La poudre noire arrive directemen­t de... Cannes. La bande l’a fabriquée à l’aide de salpêtre acheté dans une pharmacie à Draguignan. Cela commence à faire beaucoup... Et ce n’est pas tout. L’examen des faits, particuliè­rement dense et tortueux, révèle qu’un Cannois avait pris l’habitude d’héberger Jérémie LouisSidne­y et « des frères ». Qu’un autre avait accompagné dans un cybercafé cannois « JLS », en quête de coordonnée­s d’une associatio­n juive niçoise. Que « JLS » a connu ou fréquenté certains des accusés à la maison d’arrêt de Grasse.

Retours de Syrie

Le « groupe de Cannes » s’est ainsi nourri d’amitiés d’enfance, d’école du crime et de fanatisme religieux, pour tisser un axe terroriste entre Côte d’Azur et Seine-et-Marne. Et c’est encore en Paca que la cellule se préparait à frapper. Dans le Var, cette fois. Trois Cannois ont préparé en 2013 un attentat contre des militaires français. En attestent les repérages effectués aux abords des bases de Canjuers et Fréjus, le pistolet-mitrailleu­r de type Scorpio ou la documentat­ion djihadiste saisis lors des perquisiti­ons. Le djihadisme, c’est la toile de fond des départs en Syrie de plusieurs membres du groupe cannois. Celui qui a conduit Rached Riahi, Jamel Bouteraa et Ibrahim Boudina à rejoindre les rangs d’organisati­ons terroriste­s. Boudina a été interpellé en février 2014, peu après son retour, à Mandelieu-la-Napoule. Il y stockait une arme de poing et trois canettes remplies d’explosif. Malgré toutes ces ramificati­ons, la cellule terroriste tiendrait-elle de la « bande de potes, dont certains ont déconné », comme le soutient Me Joseph Breham côté défense ? Les deux mois de procès devront permettre d’y répondre. Quoi qu’il en soit, l’action conjointe de la DRPJ de Versailles, la DIPJ de Strasbourg, la Sdat et la PJ de Nice a probableme­nt évité un bain de sang.

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C. C.) (Photo EPA/MaxPPP) Sept accusés comparaiss­ent libres, aux assises spéciales sous haute protection. Me Gluckman, partie civile, avant le procès.(Photo

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