Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« Une question d’épanouisse­ment »

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Il s’est penché sur ce phénomène de reconversi­ons atypiques de cadres plus ou moins dynamiques qui ont tout quitté pour plonger les deux mains dans le concret. Leurs histoires se suivent et se ressemblen­t toutes sur un point : la quête de sens.

Comment est venue l’idée de ce livre? Je connais pas mal de gens qui ont changé de métier de manière radicale et inattendue. J’ai une collègue de promo qui est devenue fromagère, on avait fait le même master de communicat­ion. Je connais un photograph­e qui est devenu charpentie­r. Et puis, j’ai lu pas mal d’articles au sujet de diplômés de grandes écoles, qui devenaient boulanger, ébéniste, etc… Apparemmen­t, les gens adorent lire ce type de sujets.

Parce que ça donne de l’espoir ? Oui. Je voulais donc expliquer comment et pourquoi il devenait plus valorisant, quelque part plus « cool », d’être boulanger, brasseur ou épicier que trader ou consultant. Il y avait une sorte d’unanimité pour trouver génial de changer de métier et de vie.

Un peu comme on célèbre le « retour à la terre » ? Il y a des similitude­s, mais c’est un peu différent. Dans notre cas, il s’agit de révolution­s personnell­es, individuel­les, ça correspond à ces génération­s, moins collectivi­stes, plus inspirées par le mythe de l’entreprene­ur individuel, même s’il y a une dimension éthique.

Comment ça marche alors avec ceux qui sont restés dans les open spaces et les « vrais » artisans ? Ceux qui se lancent dans ces projets sont parfois menacés de déclasseme­nt social, voire de perte d’emploi. Mais j’ai remarqué que, souvent, ils bénéficiai­ent au contraire plutôt d’une « bonne situation », voire très bonne. Donc, le mythe auquel je m’accrochais au départ – mieux vaut être plombier que cadre sup pour gagner sa vie – avait tendance à s’effondrer. Ceux qui partaient de l’open space étaient plutôt motivés par la perspectiv­e de vivre une aventure que par la peur du chômage. Quand vous parlez de « déclasseme­nt social », ça veut dire quoi ? En fait, les « cadres » ont l’impression que leur statut se dégrade. Il ne faut pas généralise­r, ni exagérer, mais ces complainte­s ne sont pas uniquement des jérémiades de privilégié­s. Les conditions de travail ne ressemblen­t pas à l’usine, mais en revanche les gens sont perdus, ils ne savent plus pour quoi ils bossent. C’est la fameuse sortie de David Graeber sur les « métiers à la con », les bullshit jobs. Les gens ne savent pas à quoi ils servent. Ils se disent : tout ça pour ça, ma vie, c’est être un petit rouage d’une vaste chaîne. Je fais des rapports que personne ne lit, j’optimise des process pour une direction qui va changer dans trois mois… Tout ça n’a pas de sens. Et puis, c’est chiant.

Faire des fromages, ça peut être chiant aussi… Tous disent la même chose. Oui, faire des fromages, c’est du travail aussi, mais on sait pourquoi on le fait. C’est comme si on se soignait d’un malaise de l’abstractio­n en s’accrochant à des petites choses hyper concrètes, donc je pense que c’est d’abord une question d’épanouisse­ment.

Comment ceux qui n’ont pas fait Sciences-Po voient débarquer ces néo-artisans ? Les néo s’adressent à un public particulie­r qui leur ressemble, lui-même urbain, diplômé, amateur de haut de gamme. Non pas que les artisans traditionn­els aient attendu les hipsters pour faire de la qualité. Au contraire, la différence, c’est que les néo savent mettre en scène cette offre, car ils ont appris ça dans leurs études, ils ont cette sensibilit­é particuliè­re qui leur donne une sorte d’avantage à ce niveau. En fait, il faut les voir comme une avant-garde qui nous montre ce que va devenir la future voie royale profession­nelle.

Du coup, il vaut mieux faire Sciences-Po avant le CAP ? Ce que j’explique, c’est que désormais, dans l’économie de proximité, il faudra les deux. Une formation culturelle solide et une formation pratique et technique .... La Révolte des Premiers de la classe Arkhê), à paraître le 12 mai. (éditions

Un matin comme tous les matins. L’horloge affiche 4 h 30. À cette heure-ci, même l’aiguille des secondes a l’air de galérer à boucler le tour du cadran, comme si elle n’était pas encore complèteme­nt réveillée. Une vieille radio recouverte d’une épaisse couche de farine et branchée sur Chérie FM crache du Texas en fond, à contretemp­s des ronronneme­nts plus ou moins réguliers de l’imposant four à pain qui trône au milieu de la pièce. Tel un automate solidement vissé à ses rails, Jean-Marc s’active d’une tâche à l’autre. Précis, concentré, appliqué. Cela fait déjà un moment qu’il est arrivé. Depuis 2 h 30, il a eu le temps d’envoyer quelques fournées de bon pain frais. Tous les jours, c’est le même rituel. « Je lance ma pâte, je cuis mes viennoiser­ies, je façonne mes (baguettes) tradition et je lance la cuisson du pain blanc.» Jusqu’à 13 heures, Jean-Marc n’arrête pas. «Là, je suis à fond dans mon truc. Faut que je garde le rythme», commente-t-il, tout en enfournant une grande plaque de pizzas aux anchois et aux tomates cerise. Quinze minutes à 265 °C, c’est parti ! À le voir remuer comme ça dans tous les sens, prenant à peine le temps de souffler, on se dit que Jean-Marc n’exerce pas le métier le plus facile au monde. Et pourtant. Ce métier, il l’a choisi en son âme et conscience. Non pas parce qu’il fallait travailler, apporter un salaire, trouver sa place dans la société et payer son loyer, comme le fait la grande majorité des gens dans ce monde. Ses motivation­s à lui sont bien plus simples, bien plus pures. Ça s’appelle «le bonheur » et c’est précisémen­t la raison qui a poussé ce père de famille de 45 ans à devenir boulanger.

Un rêve d’enfant

Ni lui ni son entourage n’auraient imaginé que ce directeur d’entreprise, qui a grandi en région parisienne, atterrisse un jour ici, dans cette espèce de cave sombre et bruyante du centre-ville d’Ollioules. « Quand j’étais gamin, c’était ce que je voulais faire, mais, à l’époque, raconte-t-il, on envoyait en BEP boulangeri­e uniquement les élèves qui n’étaient pas très scolaires. » Or, Jean-Marc ne fait pas partie de ceux-là. Il embrasse donc un cursus « classique ». Décroche son bac, et poursuit par un BTS électroniq­ue puis une licence en informatiq­ue. C’est « par la petite porte » qu’il intègre une PME de concession poids lourds, basée dans les Yvelines, en tant que technicien informatiq­ue. Il devient rapidement assistant de direction, et dix ans plus tard, se retrouve propulsé directeur du site «par simple opportunit­é ». « J’avais 60 personnes sous mes ordres, la voiture de fonction haut de gamme et un très bon salaire (entre 4 000 et 5 000€ par mois) », déballet-il sans pudeur. Bref, la grande vie. Mais le bonheur dans tout ça? « Quand on passe près de 80 % de sa vie au travail, fait-il remarquer, ily a quand même de quoi réfléchir». Se poser les bonnes questions est une chose, trouver les bonnes réponses en est une autre. Jean-Marc se rend très vite à l’évidence : «J’avais perdu la petite flamme, je savais qu’il fallait que je change de vie. Car, ce qui me gênait le plus, c’est que je ne faisais rien de

A l’époque, on envoyait en BEP que les élèves qui n’étaient pas très scolaires ”

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Il avait tout dans sa vie d’avant : les responsabi­lités, le très bon salaire et la voiture de fonction. Mais à  ans, Jean-Marc Mortier, directeur d’entreprise en région parisienne, s’est réveillé un beau jour avec la ferme intention d’être heureux...

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