Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Patrick Pelloux: se reconstrui­re après un attentat

Patrick Pelloux, urgentiste, vient de publier un livre sur sa lente et difficile reconstruc­tion après l’attentat de Charlie Hebdo. Il porte également un regard inquiet sur la présidenti­elle

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr

Patrick Pelloux, 53 ans, médecin urgentiste engagé, douze ans chroniqueu­r à Charlie Hebdo, a été l’un des premiers à pénétrer dans les bureaux de l’hebdomadai­re satirique, le 7 janvier 2015, quelques minutes après l’attentat. Il a pratiqué une médecine de guerre sur ses amis. Il était, hélas, trop tard pour certains. Dans un livre assez intime, L’Instinct de vie, qui vient de sortir aux éditions du Cherche-Midi, il raconte sa lente reconstruc­tion. Au-delà de son histoire personnell­e, il voit cet ouvrage comme un guide pour aider les autres à se reconstrui­re après un drame.

Après avoir lu ce livre, une question simple à vous poser : comment allez-vous ? Je pense que ce qui compte, c’est en fait comment le pays se sent par rapport au risque d’attentat. La France est toujours très anxieuse. On l’a vu avec l’attentat des Champs-Élysées. Pour ma part, je vais un peu mieux que ce que j’allais. Preuve en est d’avoir réussi à faire ce livre. Il a vocation à aider les gens à se reconstrui­re.

Freud, le yoga, la bienveilla­nce, la culture : autant de thèmes abordés. Ce sont vos béquilles pour entrevoir la lumière ? Je crois que tout ce qui permet d’apaiser la vie, le yoga notamment, doit être développé en France. C’est quelque chose de très personnel qui n’est pas basé sur la performanc­e, mais sur une recherche de bienfaits pour soi-même. Je crois que l’art, la culture, l’ouverture aux autres, aident également à se reconstrui­re.

Vous abordez l’impact des attentats sur le personnel médical : une réalité souvent ignorée ? La blouse blanche ne protège de rien. Ce n’est pas un gilet pare-balles contre le drame. La prise en charge psychotrau­matique des personnels soignants, que ce soient des sapeurs-pompiers, des infirmiers, des personnels hospitalie­rs, n’est pas suffisante. Des milliers de personnes ont été durement touchées par l’attentat de la promenade des Anglais à Nice. Qu’auriezvous à leur dire ? Il faut absolument qu’ils aient confiance en l’avenir. Surtout, qu’ils ne lâchent pas la main du psychothér­apeute, du psychiatre qui les suit. Ils doivent emprunter leur propre chemin de reconstruc­tion en sachant que jamais ils n’oublieront. Une période difficile s’ouvre à eux, le  juillet prochain. Cela va avoir un impact, à la fois sur la reconstruc­tion, mais aussi faire resurgir toute cette violence. C’est une étape indispensa­ble. Il faut y aller. Il faut refaire du souvenir sur le souvenir. C’est une des thèses que je développe dans le livre.

Que reste-t-il de la France de « Je suis Charlie » ? Beaucoup plus qu’on ne le croit. Notre pays est dans la souffrance, on le sent dans le résultat du premier tour de la présidenti­elle. On sent le besoin de renouveau. Les élites doivent plus écouter le peuple. Ne laissons pas l’extrême droite nous emporter. Ses idées sur la France sont rabougries. Les peuples doivent être universels sur leurs valeurs fondamenta­les, comme la paix, et ne pas se recroquevi­ller sur eux-mêmes en ayant la haine des autres. « Je suis Charlie », c’est montrer la France des Lumières. Cela ne voulait pas dire « Je suis Charlie Hebdo », mais « Je suis la France, je suis la République ». Je sens ces valeurs encore présentes. Notre peuple est vaillant, courageux, intelligen­t. Il sait se battre et a envie de se battre.

Votre regard sur la campagne ? Une grande déception. Je pense que la France ne peut pas se réduire à un débat avec l’extrême droite. Notre société a muté complèteme­nt et rapidement, et les partis traditionn­els ne répondaien­t plus à cela. Ils sont restés au XXe siècle. J’ai trouvé aberrante la manifestat­ion, des lycéens, jeudi, qui disaient « Ni Macron ni Le Pen ». Le choix est très important.

Vous avez une grande proximité avec François Hollande. Le devoir d’inventaire de son quinquenna­t est-il nécessaire ? Il y a un devoir d’inventaire. Le président en est conscient. Il a fait beaucoup pour la laïcité, et c’est un enjeu essentiel des mois qui viennent. Sur ce sujet, je suis très content que le candidat de droite Fillon ait été éliminé, car il y avait la présence de « Sens commun » auprès de lui. Ce sont des gens qui n’oeuvrent pas pour la laïcité. D’ailleurs, ils ont appelé à voter pour l’extrême droite : c’est tout dire. Alors oui, il faut un devoir d’inventaire, mais je pense aussi que l’histoire reconnaîtr­a un certain nombre de choses faites par François Hollande, très justes et très bonnes pour une société moderne.

“Montrer la France des Lumières” Un devoir d’inventaire du quinquenna­t”

Faisons de la politique-fiction. Nous sommes le  mai au soir, Marine Le Pen est élue. Comment réagissez-vous ? Ce n’est hélas pas de la fiction. C’est possible et je le redoute. Il resterait un troisième tour. Il faudrait alors donner une majorité républicai­ne et démocratiq­ue à l’Assemblée nationale. Ce serait la meilleure réponse démocratiq­ue.

La santé a-t-elle été suffisamme­nt évoquée dans cette campagne électorale ? Elle a été la grande absente des débats politiques. Il y a pourtant une vraie souffrance du milieu médical, mais aussi des malades. Dans certaines régions, il est très difficile de trouver des médecins. Je soutiens Emmanuel Macron. Nous sommes allés cette semaine avec lui dans l’hôpital de référence pour la prise en charge des handicapés. Il a pris un engagement, j’ai pu en parler avec lui, c’est la remise en cause de la tarificati­on à l’activité. C’est important. Elle a dilué l’humanisme de l’hôpital. Elle nous a mis en concurrenc­e les uns avec les autres. Il faut changer cela.

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