Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Années  : Sanary, refuge

Une cinquantai­ne d’intellectu­els, juifs pour la plupart, fuient le régime nazi dès 1933. Mais lorsque la guerre éclate six ans plus tard, certains sont arrêtés et internés dans des camps

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Un carnage ! Des dizaines de milliers de livres mis au feu, des centaines d’écrivains mis au ban de la société. Dans la nuit du 10 mai 1933 est perpétré en Allemagne l’un des plus grands crimes contre la culture occidental­e. Par ordre d’Hitler, arrivé au pouvoir quatre mois plus tôt, des bûchers sont allumés dans toutes les villes allemandes et, au son du tambour, les ouvrages non tolérés par l’idéologie nazie sont versés par brouettées entières. Ils partent en flammes et en fumée. Cette nuit-là, les écrivains, les intellectu­els allemands comprennen­t qu’ils n’ont plus droit de vivre dans ce pays en dehors du parti nazi. Ils doivent partir. Où aller ? Beaucoup choisissen­t de se réfugier dans le Var. Ils ont lu, en effet, les récits de l’écrivain Katherine Mansfield qui a séjourné à Bandol en 1915, ou encore les articles du critique d’art Julius Meier-Graefe, qui s’est installé au début des années trente à Saint-Cyr – dans la villa la Banette, sur le bord de mer, qu’il partageait avec le photograph­e Klossowski, père du célèbre peintre Balthus. MeierGraef­e a entraîné dans son sillage le peintre paysagiste Walter Bondy et l’écrivain René Schickelé. Ils ont découvert Sanary, cité gorgée de soleil, débordante de couleurs, ombragée de pins ou de palmiers, où l’odeur de l’aïoli rencontre celle du mimosa. Sensibles à l’atmosphère de bien-être qui se dégage de ces rivages, ils ont parlé de « paradis ». C’est à Bandol qu’en 1929, l’écrivain David-Herbert Lawrence, auteur de l’Amant de Lady Chatterley , atteint de tuberculos­e, s’est réfugié avec son épouse allemande Frida. Avant de partir pour Vence, dans les Alpes-Maritimes, où il est mort en 1930, il a convaincu son ami le grand écrivain anglais Aldous Huxley de venir s’établir à Sanary. Huxley, sa femme et son fils s’y sont installés au printemps 1930 dans une maison du quartier de La Gorguette, surplomban­t la mer sur la route qui mène à Bandol.

Huxley écrit des mondes Le meilleur

Huxley a été l’un des premiers à posséder un téléphone privé dans cette commune. Il écrira là son célèbre roman d’anticipati­on Le Meilleur des mondes ,se complaisan­t dans la singularit­é de sa personne : « Si l’on est différent, il est normal qu’on soit seul », écrira-t-il dans cet ouvrage. Près des Huxley vivent les Kisling, dont le père, Moïse, ami de Picasso et de Modigliani, peint des paysages varois exubérants de couleurs. Les Kisling ont une Bugatti rouge, très remarquée dans le quartier, au nord-ouest de la commune dans la direction de Bandol, que le fils conduit sans permis jusqu’à Saint Tropez ! Sanary est devenue une capitale culturelle. C’est là que débarque en juin 1933, un mois après les bûchers de la nuit du 10 mai, le prix Nobel de littératur­e Thomas Mann, auteur de Mort à Venise. Auparavant, il a fait halte avec sa famille au Lavandou, dans une villa appelée les Roches Fleuries, puis s’est arrêté dans un hôtel à Bandol. À Sanary, il s’installe dans la villa Tranquille, sur le chemin de la Colline, dans le quartier sud de la cité, non loin du port. Peu après arrive Lion Feuchtwang­er, traité par Goebels de « pire ennemi du peuple allemand », célèbre pour son livre le Juif Süss. L’écrivain et son épouse résident d’abord à la villa Lazare, plage de Beaucours, puis à partir de 1934, à la villa Valmer, boulevard Beausoleil. Mann et Feuchtwang­er, qui ont les moyens, accueillen­t chez eux des écrivains désargenté­s, dont Bertold Brecht, qui n’a pas quat’ sous malgré le succès de son célèbre opéra portant comme titre L’Opéra de quat’sous. Et voici l’arrivée du philosophe Ludwig Marcuse, de l’écrivain Fritz Brügel, président de l’Union des écrivains d’Autriche, du journalist­e Arthur Koestler , qui, emprisonné et condamné à mort par les franquiste­s en Espagne, a été échangé contre un prisonnier espagnol.

L’Anschluss et une nouvelle vague d’émigration

Le 12 mars 1938, Hitler annexe l’Autriche : c’est l’Anschluss. Nouvelle vague d’émigrés vers Sanary. Ils font halte à l’hôtel de la Tour - qui existe toujours sur le port, avant de trouver domicile ailleurs. Arrive le poète et romancier Franz Werfel et son épouse Alma, qui n’est autre que la veuve du grand compositeu­r Gustav Mahler. Ils ont fui l’Autriche à pied. Ils louent à Sanary le Moulin Gris, face à la chapelle Notre-Dame de Pitié, encore aujourd’hui bien connue des touristes. L’écrivain Franz Hessel débarque avec sa femme Hélène et s’installe au mas de la Carreirado, près du port.

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(DR) (Photos DR) Ci-contre, le camp des Milles où Hasencleve­r se suicida et d’où Feuchwange­r s’évada. Alma Mahler vint trouver refuge à Sanary en même temps que Berthold Brecht et peu après Aldous Huxley Tous ces écrivains se retrouvaie­nt au Café de la Marine
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