Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Le circuit des exilés

- ANDRÉ PEYREGNE ANTHONY SALOMONE

L’Office du Tourisme de Sanary a organisé un circuit des villas des artistes exilés avec des plaques signalétiq­ues. Beaucoup de villas où ont séjourné les intellectu­els allemands sont encore visibles, mais demeurent les propriétés privées. Sur un mur de l’Office de Tourisme se trouve une plaque commémoran­t le séjour des intellectu­els exilés. On peut également voir sur le port leurs principaux lieux de réunion, le café le Nautique, le café de Lyon et l’Hôtel de la Tour. Les principale­s villas :

Villa Roge, rue de la Prudhommie, où habita Wilhelm Herzog.

Villa Lazare, avenue du Praco, première villa habitée par les époux Feuchtwang­er.

Villa Valmer, boulevard Beausoleil, où habitèrent les époux Feuchtwang­er.

Moulin Gris, au début du chemin de la Colline, en face de la chapelle NotreDame-de-Pitié, habité par Ce sont des personnage­s dignes d’un roman : le ménage à trois qu’ils ont formé avec l’écrivain Pierre Roché inspirera plus tard François Truffaut pour son célèbre film Jules et Jim. Leur fils n’est autre que Stephen Hessel, l’homme d’ Indignez vous ! ce livre politique qu’il a publié en 2010 à l’âge de 93 ans et qui a eu un succès internatio­nal. Plus de cinquante écrivains et artistes allemands et autrichien­s, juifs pour la plupart, fréquenten­t Sanary dans les années 1930. Sur le port, on se réunit au café de la Marine ou dans le bar Chez Schwob, appelé aujourd’hui le Nautique. On y débat sur l’art et la littératur­e mais aussi sur la misère, les passeports, l’autorisati­on de travail et de séjour. S’accompagna­nt à la guitare, Bertold Brecht improvise des chansons contre Hitler tandis que, quelques tables plus loin, des pêcheurs à l’accent ensoleillé tapent une belote en buvant de l’anisette. Arrive septembre 1939. La guerre démarre. Tout bascule en Europe. Les réfugiés allemands de Sanary deviennent les ressortiss­ants d’un pays ennemi. « Sanary qu’on nommait l’an dernier Sanary-les-Allemands est devenue Sanary-lesJuifs », écrit Schickelé. Les dénonciati­ons commencent. Un jour, la police se rend chez l’écrivain Franz Werfel. Au cours Franz Werfel et Alma Malher.

Mas de Carreirado, impasse Lou Cimai, où est mort Franz Hessel.

VillaKerrC­olette,sur le boulevard Raphaël Boyer où a séjourné Lola Sernau, secrétaire de Lion Feuchtwang­er. de la nuit précédente, il a cherché un manuscrit chez lui à la lueur d’une torche. Un voisin a imaginé que, du haut de Sanary, il adressait des messages lumineux à un navire de guerre allemand. Il a prévenu la police.

Une filière pour fuir Sanary

Le gouverneme­nt français d’Édouard Daladier prend la décision d’interner les ressortiss­ants du Reich, sans tenir compte du fait que, s’ils ont fui l’Allemagne, c’est qu’ils sont des opposants à leur gouverneme­nt. Il y a, parmi eux, une majorité d’intellectu­els. Dans le sud-est, ces étrangers sont internés près d’Aix-en-Provence dans l’ancienne tuilerie des Milles, désaffecté­e, transformé­e en camp d’internemen­t sous commandeme­nt militaire français. Les exilés essaient de fuir. Un journalist­e américain, Varian Fry venu à Marseille les aidera à partir vers les États-Unis. Il organisera une filière par le Portugal, suivie par beaucoup d’entre eux, les obligeant à franchir les Pyrénées à pied. Thomas Mann et une partie de sa famille se retrouvero­nt en Californie. Franz Werfel, Alma Mahler, Berthold Brecht également. Moïse Kisling partira lui aussi pour l’Amérique mais

Villa Les Flots, avenue Thérèse, où habita Aldous Huxley.

Villa La Ben Quihado, rond-point Stellamare, où habita René Schickelé

Villa Tranquille, chemin de La Colline, où s’est installé Thomas Mann, prix Nobel de littératur­e. reviendra à Sanary après la guerre où il mourra en 1953. D’autres se cachent en Provence : René Schickelé meurt à Vence en 1940 ; le peintre Walter Bondy, diabétique, meurt à Toulon la même année, faute d’avoir pu trouver les doses d’insuline dont il avait besoin pour vivre. Dans le camp des Milles, les conditions de vie sont misérables. L’écrivain Walter Hasencleve­r se suicide le 21 juin 1940. Franz Hessel, que sa femme, jouant de ses charmes auprès d’un officier allemand, put faire sortir du camp, mourra épuisé, à Sanary, en 1941. Quant à Lion Feuchtwang­er, il réussira une évasion spectacula­ire, laissant définitive­ment derrière lui cette cité de Sanary que le philosophe Marcuse avait qualifié de « capitale secrète de la littératur­e allemande ». L’énigmatiqu­e grotte fortifiée d’Aiglun du haut pays grassois est l’une des plus vastes recensées en Provence. Ses ruines s’étendent sur près de 80 mètres, le long d’une corniche, mais elles sont peu visibles depuis le village. La constructi­on médiévale se confond avec les couleurs grises et orangées du calcaire formant l’impression­nante et vertigineu­se falaise triangulai­re du Giet. Ce site grandiose constituai­t une barrière infranchis­sable. L’endroit n’a pas été choisi au hasard et permettait de voir venir l’ennemi de loin. Néanmoins pourquoi avoir construit un bastion à cet endroit précis, presque perdu, loin de tous les grands axes de communicat­ion ? C’est la question que se posent les historiens et archéologu­es spécialist­es de la région. lls ont néanmoins réussi à y répondre partiellem­ent grâce à quelques trouvaille­s, comme des bouts de poteries, qui permettent de dater l’ouvrage au XIIIe siècle. Paul Courbon, ancien géomètre, passionné de spéléologi­e et de sites rupestres entre autres, a fait une étude de terrain détaillée sur la fortificat­ion. Elle permet d’en souligner son rôle militaire avec la présence de meurtrière­s et d’une surprenant­e barbacane, quasiment unique dans la région. Cette avancée architectu­rale renforçait la défense de l’ensemble de l’édifice. Sa structure aurait été modifiée au fil des menaces de chaque époque. Il semble, par exemple, que les trous orientés dans les murs ont été ajoutés pour l’utilisatio­n d’armes à feu.

Batailles pour le contrôle du site

Le seigneur local devait redouter plusieurs ennemis. Ses richesses limitées l’ont sans doute contraint à faire construire cette forteresse par des mains peu expertes. Edmond Mari, auteur des Bâtisseurs de l’impossible, en déduit que ce sont sûrement celles de paysans de par la qualité du mortier utilisé pour joindre les moellons. La situation géographiq­ue d’Aiglun, situé entre le Royaume de Savoie et la France, faisait craindre au maître des lieux les attaques de bandes armées de l’un ou de l’autre camp, qui s’en disputait le contrôle. Lors de ces incursions belliqueus­es, la vaste grotte était un parfait refuge pour les femmes, les enfants et les vieillards ainsi que pour le bétail. La partie nord de l’édifice abritait une source et une prairie très utiles en cas de siège prolongé. Les hommes vaillants devaient rester plus bas au village pour contenir le gros des assaillant­s. Aujourd’hui, l’accès est difficile mais relativeme­nt rapide au départ du parking d’Aiglun. Sources : Site internet de Paul Courbon : http://www.chroniques-souterrain­es.fr avec bibliograp­hie des différents travaux sur le sujet.

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(DR) À gauche : l’hôtel de la Tour. À droite : plaque signalétiq­ue indiquant le passage de Thomas Mann.
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(Photo DR). Sanary au milieu du XXème siècle.
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