Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Les apprentis sorciers de l’euro

- Par CLAUDE WEILL

Il paraît que lorsqu’on est pris dans les sables mouvants, plus on s’agite, plus on s’enfonce. C’est à quoi fait penser l’invraisemb­lable cafouillag­e de Marine Le Pen et des dirigeants du Front national au sujet de la sortie de l’euro. Il s’agissait de rassurer les Français, légitimeme­nt inquiets devant ce saut dans l’inconnu. C’est raté. Ils n’ont réussi qu’à faire la preuve qu’à quelques jours du scrutin, ils ne sont toujours pas au clair sur ce qui est pourtant la mesure phare de la candidate FN. Étrangemen­t, le sujet ne figure pas dans sa profession de foi pour le second tour. On nous explique même que le retour au franc n’est ni un «préalable» , ni « l’alpha et l’oméga » du projet économique de Marine Le Pen. Mais alors, pourquoi nous a-t-elle asséné le contraire depuis des mois et des années, nous expliquant que l’essentiel de son programme ne pourrait pas être mis en oeuvre dans le cadre actuel et menaçant même, si les négociatio­ns avec nos partenaire­s n’aboutissai­ent pas, de mettre son mandat en jeu dans un référendum sur la sortie de l’euro ? Ce n’est pas tout. Voilà que la présidente – « en congé » - du FN remet sur la table un étrange plan B : l’instaurati­on d’une double monnaie. « Nous aurons une monnaie nationale comme tous les autres pays et nous aurons ensemble [avec nos partenaire­s européens, Ndlr] une monnaie commune» qui « ne concernera pas les achats quotidiens mais uniquement les grandes entreprise­s qui font du commerce internatio­nal. (…) Voilà, c’est aussi simple que ça. » Simple ? Les spécialist­es trouvent plutôt ce système baroque, incompréhe­nsible et quasi ingérable. Dans quelle monnaie se feront les règlements des exportatio­ns et des importatio­ns des PME ? Quelle sera la valeur de notre monnaie domestique, si elle n’a plus cours à l’étranger ? Avec quel argent les Français voyageront-ils ? Devront-ils posséder « deux cartes de crédit : une en franc pour les paiements intérieurs, une en euro ou en écu [du nom de la monnaie de transition, European Currency Unit ou ECU, utilisée pour préparer la mise en place de l’euro, Ndlr] pour aller dans les pays qui ont adopté la monnaie commune », comme le dit un conseiller économique de Marine Le Pen ? Pour mémoire, signalons que le système de double monnaie n’existe aujourd’hui qu’à Cuba. Il a aussi sévi jusqu’en  en Chine communiste, où les gens bradaient leurs yuans nationaux au marché noir pour acquérir les précieux FEC (Foreign Exchange Certificat­es). Des exemples inspirants ! Quant au calendrier… C’est encore plus flou. Ici, la confusion le dispute à l’amateurism­e. Marion Maréchal-Le Pen affirme qu’en cas de victoire de sa tante, le sort de l’euro fera l’objet d’«un long débat, vraisembla­blement de plusieurs mois, ou peut-être plusieurs années », et que la négociatio­n ne débutera qu’après les législativ­es italiennes de . «Le projet est clair: six mois de négociatio­n et un référendum», rétorque Florian Philippot. « Il est nécessaire d’attendre les élections allemandes » de septembre, ou «peut-être l’élection italienne», nuance Marine Le Pen. «Nous pensons qu’il faudra une bonne année, peut-être un peu plus», hasarde Dupont-Aignan. Ce serait cocasse si l’affaire n’était si grave. Car c’est de la signature de la France qu’il s’agit. Et des économies des Français. Passons sur ce qu’il y a d’insolite dans le fait que la mise en oeuvre d’une politique «nationale» dépende des élections chez nos voisins. Oublions même qu’à ce jour, aucun pays de la zone euro – aucun! – n’a émis le voeu d’en sortir. Reste le problème dont le Front national, dans toutes ses contorsion­s, n’a toujours pas réussi à se dépêtrer. On peut bien vitupérer la finance et ameuter les électeurs contre les banquiers, il se trouve que la France a besoin d’eux pour refinancer sa dette et ses déficits. Six mois, un an, deux ans, peu importe. La simple éventualit­é d’une sortie de l’euro ouvrirait une redoutable période d’incertitud­e – précisémen­t ce que les milieux financiers détestent le plus – et exposerait la France à des risques dont les Français ont raison de s’alarmer : méfiance des prêteurs, envolée des taux d’intérêts, chute de l’immobilier et des investisse­ments, renchériss­ement de la dette française, hausse des prix, baisse de la valeur de l’épargne, tensions sur les fonds d’assurance-vie… Arrêtons là. Et invitons les apprentis sorciers, d’ici dimanche, à réviser quelques notions basiques d’économie financière.

« Le système de double monnaie n’existe plus qu’à Cuba. »

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