Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Le vrai-faux procès d’Anna, collégienn­e

Brignoles Un vrai-faux procès s’est déroulé dans le hall des exposition­s transformé pour l’occasion en tribunal pour enfants. La conclusion d’une action éducative de longue haleine

- Compte-rendu d’audience : Didier ZAÏTOUN Photos : Gilbert RINAUDO

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nes’y serait vraiment cru ! Pour preuve : les  élèves de  du collège Paul-Cézanne de Brignoles sont restés absolument silencieux et attentifs pendant une bonne partie de la matinée, il y a quelques jours, dans un hall des exposition­s de Brignoles transformé en tribunal pour enfants. Il s’agissait pour l’occasion du point d’orgue d’une action majeure en direction des jeunes, réalisée dans le cadre de la sensibilis­ation au droit et à la prévention de la délinquanc­e que pilote le Point d’accès au droit intercommu­nal. Le PAD, soutenu par le conseil départemen­tal de l’accès au droit et des profession­nels de la justice, en partenaria­t avec l’Éducation nationale, pilote cette action nommée Procès pénal interactif (PPI). Elle s’adressait donc cette année aux élèves de de Paul-Cézanne. Après un travail préparatoi­re en classe, l’élaboratio­n d’un scénario et un module théorique, mené sur toute l’année scolaire, ils ont assisté à un procès, comme pour de vrai, présenté par Sébastien Bourlin, vice-président de l’agglo.

Rappel des faits : Anna D., 15 ans, est convoquée devant le tribunal pour enfants de Brignoles pour des faits de violence, de menaces et de coups portés sur la personne de Julien W., lui aussi âgé de 15 ans, résidant comme elle dans la cité du Carami, et également élève du collège Paul-Cézanne. Elle devra également expliquer pourquoi elle a été arrêtée pour avoir fumé un joint et avoir été en possession de cannabis. Elle a déjà été subi un rappel à la loi et été condamnée à une mesure de réparation, début 2016. Anna est actuelleme­nt confiée à un établissem­ent de placement éducatif. Mais elle fugue souvent.

Aujourd’hui, elle comparait devant le tribunal pour enfants, suite au dépôt de plainte de Julien et de ses parents, pour des faits répétés d’insultes, de menaces et de violence devant le collège et sur son compte Facebook.

« Il m’a mis un râteau. On ne me fait pas ça ! »

Le silence est total dans la salle d’audience. « Quelle sera votre attitude au cours de ce procès, mademoisel­le ?, interroge le président en préambule. Allez-vous collaborer ou vous enfermer dans le mutisme ?». «J’vais m’taire!», balance l’accusée. Qui revient vite à de meilleurs sentiments sous l’insistance du magistrat : «OK, c’est vrai, je l’ai frappé et harcelé. Mais, en même temps, il l’a cherché. Je lui avais demandé de me filer sa veste, et il a pas voulu. Alors, je lui ai jeté une enceinte dessus. Ça va, il m’avait mis un râteau. Et on ne me fait pas ça ! » « Je sens que l’on va bien s’entendre, ironise le président. Vous l’avez quand même également menacé de mort, ce qui peut être passible de plusieurs années de prison. Comme de faire usage et d’être en détention de drogue. Mais aujourd’hui, devant nous,‘‘ vous allez peut-être enfin comprendre que, dans le vrai monde, il est interdit de fumer du cannabis. Et, le vrai monde, c’est nous ! » La parole est alors donnée au père la victime, qui explique que son fils Julien est encore traumatisé par ces faits et que « son comporteme­nt a changé, entraînant une chute de ses résultats scolaires ». Pour autant, rien ne vient troubler le comporteme­nt nonchalant de l’accusée. Une attitude regrettée par le président Lambert: « Vous n’avez peut-être pas bien compris l’enjeu de cette audience, mademoisel­le ! » Vient la plaidoirie de Me Laure Coulet, qui, pour la partie civile, pointe du doigt la «désinvoltu­re» de l’accusée à l’occasion de son procès. «Et son comporteme­nt de toute puissance, qui caractéris­e sa dangerosit­é. » « Les actions d’Anna ont des conséquenc­es, à la fois pénales et sur mon client, poursuit-elle. Il a été atteint dans son corps. Et les menaces de morts réitérées impactent son avenir. Je vais vous demander, monsieur le président, une condamnati­on d’Anna et une réparation à hauteur de 6000 pour Julien, auxquels il conviendra d’ajouter 1000 de frais de justice. » Dans un silence de plus en plus pesant, le procureur de la République, Mme Sabrina Nechdi, procède alors à ses réquisitio­ns: «Il s’agit de faits extrêmemen­t lourds de violence aggravée. Mais également de menaces réitérées et de consommati­on et de détention de produits stupéfiant­s. En faisant preuve de désinvoltu­re, entraînant une volonté de toute puissance, l’accusée utilise la parole des faibles qui n’est autre que la violence ! » «On ne peut pas vivre ensemble sans se respecter, poursuit le procureur, avant de demander au tribunal de punir l’accusée de 6 mois de mise à l’épreuve, « auxquels il conviendra d’ajouter une obligation de soins, une obligation de formation et une obligation de placement en centre éducatif fermé, avec exécution provisoire (auquel cas Anna, devrait alors être emmenée directemen­t en CEF par les gendarmes à l’issue du procès, Ndlr). »

« Adopter une sanction personnali­sée »

Vient alors l’instant, crucial et capital dans tout procès, celui de la défense. Me Céline Lorenzon se lève, lance un dernier regard à Anna et à la maman de l’accusée et s’avance au plus près de la cour : « Ma cliente a reconnu les faits. Qui sont graves, il est vrai. Mais Anna est totalement immature. Il convient par conséquent d’adopter une sanction personnali­sée. » Et de poursuivre : « Lorsqu’elle avait 14 ans, le père d’Anna a quitté le domicile familial, ce qui a provoqué chez elle une profonde rupture. Il faut tirer les conséquenc­es de cette rupture, car Anna est aujourd’hui déstructur­ée. Vous imaginez la voir partir ce soir en détention, à 16 ans ? Elle n’a pas conscience de ses actes. Ce n’est pas de la toute puissance, comme nous l’a asséné madame le procureur ! C’est de la fragilité.

Vous n’avez peutêtre pas compris l’enjeu de cette audience...”

Il faut trouver les bonnes solutions. Il ne faut pas la mettre en prison sous prétexte que les services sociaux n’ont pas réussi leur mission avec elle! Si elle se retrouve aux Baumettes, elle vivra aux côtés de vrais délinquant­s. Nous sommes d’accord pour les obligation­s, mais pas pour l’enfermemen­t. Si on l’enferme, on la perd! Nous acceptons le placement fermé, mais dans sa région. Quant aux 7000 réclamés par la défense, nous vous demandons simplement d’observer la situation financière de la famille d’Anna... »

Exécution provisoire

Devant une assistance touchée par la sincérité des débats, le président et ses assesseurs se retirent pour délibérer. Moins de 15 minutes plus tard, la cour reprend place. Olivier Lambert donne lecture du verdict: «Mademoisel­le, vous avez été reconnue coupable des faits qui vous sont reprochés. La cour vous condamne à six mois de placement, avec obligation de soins et de formation. Elle condamne également votre famille à verser 3000 de dommages et intérêts. Et vous condamne, vous, Anna, à payer 500 de frais de justice. Avec exécution provisoire.» Anna n’ira pas en prison ce soir, mais, si elle manque à l’une de ses obligation­s, le sursis tombera. «Vous n’êtes désormais plus dans le monde d’Anna, mais dans la vraie vie!», conclut le président avant de lever la séance. Le public, impression­né par la solennité des débats, peut regagner les classes de son collège. En silence ....

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L’équipe pédagogiqu­e du collège Paul-Cézanne, au premier rang de l’auditoire.
 ??  ?? Anna, à la barre, avec Marc Hakenholtz, éducateur.
Anna, à la barre, avec Marc Hakenholtz, éducateur.
 ??  ?? Olivier Lambert, entouré de ses assesseurs, Michel François et Georges Denuzio.
Olivier Lambert, entouré de ses assesseurs, Michel François et Georges Denuzio.
 ??  ?? Eddy Le Guenne, greffier.
Eddy Le Guenne, greffier.
 ??  ?? Anna, l’accusée.
Anna, l’accusée.
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Près
 ??  ?? aure Coulet. Madame le procureur, Sabrina Nechadi. Me Céline Lorenzon. La victime, Julien, et son papa. Face à la cour, l’accusée, Anna, a fait preuve d’une attitude désinvolte, sous le regard d’un public très attentif et passionné.
aure Coulet. Madame le procureur, Sabrina Nechadi. Me Céline Lorenzon. La victime, Julien, et son papa. Face à la cour, l’accusée, Anna, a fait preuve d’une attitude désinvolte, sous le regard d’un public très attentif et passionné.
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de  collégiens avaient pris place dans les travées de la salle d’audience du tribunal pour enfants.

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