Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Et maintenant?
« Enfin, les difficultés commencent pour nous ! », comment ne pas se remémorer ici le fameux aphorisme lancé par Bracke devant le conseil national du Parti socialiste SFIO, le mai . Oui, d’une certaine façon, tout commence. Pour le président Macron, pour le système politique tout entier, dont la recomposition ne fait que débuter. Pour la France, qui a clos hier un cycle historique de ans pour entrer dans une République inédite, plutôt e bis que e, dont on n’aperçoit encore que les contours. L’ampleur de la victoire d’Emmanuel Macron ne surprendra que ceux qui avaient sous-estimé le rejet que continue de susciter le Front national, et que la triste prestation de Marine Le Pen lors du face à face du mai a puissamment renforcé. Elle élargit les marges d’action de ce président novice en qui les sceptiques n’avaient voulu voir qu’un épiphénomène, un hologramme, une bulle médiatique. Elle l’installe
en architecte du monde politique qui vient. Elle n’en fait pas pour autant un magicien, ni un alchimiste. Les socialistes et les républicains se trouvent confrontés à une alternative à laquelle nul ne pourra se dérober : monter ou pas dans le train « En Marche ». A chacun de faire son choix. A chacun de prendre son risque. Hier, sur les plateaux, on a vu se dessiner, au fil des interventions, tout l’éventail des attitudes possibles face à l’offre de rassemblement que leur lançaient les partisans du nouveau président : du ouioui au non définitif, en passant par le oui peut-être, le oui si, le non sauf si… Pour le PS comme pour les LR, c’est l’heure de vérité. Un crash test grandeur nature, qui donnera la mesure de leur capacité de résilience, et tout simplement de leur aptitude à ne pas être emportés et brisés par la vague. Pour Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, la période qui s’ouvre n’est pas moins cruciale, qui décidera en fin de compte, sur le terrain électoral, du leadership de l’opposition, auquel déjà chacun prétend. Battus mais moins décidés que jamais à rendre les armes. Et comptant déjà que la politique du futur pouvoir
leur permettra de remobiliser. Tout dépendra en somme de la dynamique qu’Emmanuel Macron réussira ou non à créer. L’incroyable performance qu’il a déjà réussie peut légitimement le porter à l’optimisme. Deux tiers/un tiers, c’est un score sans appel. Mais cela ne fait pas pour autant une majorité homogène. Que le projet d’Emmanuel Macron n’entraîne pas l’adhésion de tous ceux qui ont voté pour lui, qu’il n’ait pas reçu de l’opinion un « blanc seing », il le sait mieux que personne. La gravité, la solennité, disons même la modestie de son allocution de victoire le disent assez : il n’ignore rien des « divisions » qui minent le pays, rien de la « colère », des « angoisses », des « doutes » qui le tenaillent. En politique, jamais un second tour n’efface le premier : il le prolonge, le corrige et l’affine. Pour poser clairement l’équation politique du pays, celle qui déterminera la suite des événements, il faut faire le compte des abstentionnistes, plus nombreux qu’au premier tour. Entendre le message des quelque quatre millions
d’électeurs qui se sont réfugiés dans le vote blanc ou nul (ils étaient %, contre % au premier tour). Il faut aussi se rappeler le message du avril. C’était d’abord un profond appel au renouvellement. Il sanctionnait la décrépitude des partis traditionnels, l’obsolescence de l’offre alternative PS ou LR, LR ou PS. Mais la droite républicaine pèse plus que les % qui se sont portés sur un candidat abîmé par les affaires. Et l’électorat socialiste ne se réduit pas aux % récoltés par un ex-frondeur qui s’est trompé de campagne. C’était aussi le vote d’une France éclatée, tirée vers les extrêmes. Comment oublier que la moitié des électeurs se sont tournés au premier tour vers des candidats qui proposaient le contraire même du projet européen, libreéchangiste, social-démocrate, en un mot « libéral » au sens anglo-saxon (pour reprendre le terme utilisé par Barack Obama dans son message de soutien) que porte Emmanuel Macron ? C’est cela qui donnait une tonalité si particulière à cette soirée du mai, où le camp du vainqueur se gardait de tout triomphalisme. Tandis que du coté des vaincus, déjà on fourbissait ses armes en vue des législatives de juin, dont on rêve de faire les troisième et quatrième tours de la présidentielle.