Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Wrecking ball
On sait à coup sûr qu’on assiste à un événement inédit quand il n’y a pas (encore) de mot pour le désigner. Hier, à Matignon, les conseillers de Bernard Cazeneuve se grattaient la tête pour qualifier cette cérémonie très singulière, atypique, qui a vu un Premier ministre socialiste remettre les clés de Matignon à un élu du parti Les Républicains sans qu’on puisse pour autant parler d’alternance. Ni continuité ni basculement : autre chose. Un changement sans rupture, par lequel Emmanuel Macron pose le premier acte de sa présidence, fixe la clé de voûte de sa (future et éventuelle) majorité et donne une traduction concrète à ce qui n’était jusqu’ici qu’un voeu pieux, partagé par nombre d’électeurs : casser le « système » PS/LR et faire émerger des décombres un courant politique nouveau, rassemblant les « progressistes » des deux rives. En un mot : la « recomposition ». Edouard Philippe s’est imposé comme l’homme idoine pour, comme il le dit, « tenter ce qui n’a jamais été tenté ». Jeune ( ans), énarque passé par le secteur privé, ayant occupé à peu près tous les mandats électifs mais aucun poste ministériel. Ajoutons : brillant, cultivé, séduisant, doté d’un humour assez corrosif. Et surtout proche d’Alain Juppé et affichant, sur l’essentiel, des positions voisines des engagements d’Emmanuel Macron. Bref, le représentant d’une droite ouverte, « compatible », susceptible de rééquilibrer un attelage qui avait tendance à tirer du côté PS, sans trop effaroucher l’électorat venu de la gauche. Par rapport aux usages de la Ve République, le choix est transgressif. Mais cohérent avec la stratégie du nouveau chef de l’Etat. On pourrait appeler cela « opération wrecking ball » (en français boule de démolition), pour reprendre le titre d’une chanson de Bruce Springsteen, dont le maire du Havre est un grand fan. Pour le PS, le travail de déconstruction est déjà bien avancé. Après le désastre de la présidentielle, l’appareil est fracturé, la direction décimée, les élus éparpillés. Reste un PS « canal habituel », sans leader naturel ni projet fédérateur, et dont l’ambition, pour l’heure, se limite à sauver les meubles, en attendant des jours meilleurs. Du côté de LR, l’affaire s’est révélée plus compliquée. Vingt pour cent et %, ce n’est pas pareil. L’électorat de droite ne s’est pas évaporé. Le socle reste mobilisé autour d’un objectif : réussir en juin cette alternance qui lui a filé sous le nez en avril, par la faute de François Fillon et des divisions de la « famille ». C’est la ligne officielle de la direction, qui a jusqu’ici réussi à limiter les départs. Mais l’édifice est lézardé, fragilisé par la défaite et l’attraction qu’exerce le nouveau président. C’est là que le choix d’Edouard Philippe peut peser. En le nommant à Matignon, le président Macron soumet la maison LR à un crash test qui permettra de mesurer sa résistance. On aura une première indication dès aujourd’hui, avec la composition du gouvernement. Mais c’est surtout après les législatives, dans l’hypothèse où la droite n’obtiendrait pas la majorité, que la cohésion de LR risque d’être mise à mal. L’aile modérée serait-elle prête, alors, à s’émanciper ? Combien d‘élus seraient tentés de soutenir le gouvernement, voire de rejoindre la majorité présidentielle avec armes et bagages ? La cacophonie des dirigeants de la droite, hier, disait assez leur embarras et leur inquiétude. Quand Christian Estrosi souhaite « bonne chance » à Edouard Philippe, Eric Ciotti dénonce un « débauchage politicien ». Pour autant, « pas question d’exclure » le transfuge, précisait Bernard Accoyer. En ces temps incertains, il faut se garder d’insulter l’avenir. Car au bout du compte, les électeurs pourraient bien avoir le dernier mot.
« En ces temps incertains, il faut se garder d’insulter l’avenir. Car au bout du compte, les électeurs pourraient bien avoir le dernier mot. »