Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Des virages bien nommés

- ANDRÉ PEYREGNE

Tous les virages du Grand Prix de Monaco portent un nom. Le premier, à l’extrémité du port, avant la montée vers le casino, est dédié à Sainte-Dévote, patronne de la Principaut­é. Son église se situe en contrebas, près de cet endroit. La courbe à gauche en arrivant vers le casino, porte le nom de Massenet, compositeu­r des opéras Manon et Werther, qui fut parmi les plus joués sur la scène lyrique monégasque, et dont une statue se trouve non loin de là, au pied de l’escalier de l’opéra. Le virage en épingle à cheveu le plus lent du circuit se trouve de l’autre côté du casino, portant aujourd’hui le nom de l’Hôtel Fairmont, où se trouvait la gare de Monte-Carlo au moment de la création du circuit. Le virage avant le tunnel porte le nom de Portier. Paul Portier était professeur à l’Institut océanograp­hique en . Le virage du « Bureau de tabac », au retour sur le port, rappelle la présence depuis toujours d’un buraliste à cet endroit. La spectacula­ire entrée de la chicane de la piscine porte bien naturellem­ent le nom de Louis Chiron, pilote monégasque qui fut à l’origine du circuit. L’épineux lacet qui débouche sur l’ultime ligne droite s’appelle tout aussi naturellem­ent Antony Noghès, du nom du créateur du Grand Prix. La vallée des angoisses : tel est le titre inquiétant d’un des plus beaux tableaux du musée d’Art de Toulon, dû au peintre toulonnais du XIXe siècle Vincent Courdouan. Le musée d’Art, installé depuis 1888 dans le grand bâtiment de style Renaissanc­e italienne qui se dresse sur le boulevard Maréchal-Leclerc, a acquis cette oeuvre en 1859, lorsqu’il se trouvait dans le bâtiment de l’ancien évêché, près de l’actuel cours Lafayette. Qui est Courdouan ? Un aquarellis­te distingué, fils d’un maréchal-ferrant toulonnais, né lui-même à Toulon en 1810, dans sa maison familiale située à l’orée de l’actuelle rue qui porte son nom, près de la porte d’Italie. Son pinceau a su capter la lumière et les couleurs des paysages de notre région. Il a su aussi exprimer les tourments du peintre. C’est le cas ici avec cette Vallée des angoisses, avec ses parois rocheuses aux couleurs sombres. On n’y passerait pas la nuit ! Un ruisseau aux reflets obscurs se fraie un passage au fond de la gorge. Au-dessus, un orage menace. Des ombres fantomatiq­ues se dessinent sur les rochers de gauche, tandis qu’à droite s’étalent des traces aux couleurs sanguinair­es. Sur le sentier, un muletier se hâte. Il n’a pas besoin de parler, on devine qu’il est inquiet. On ne serait pas surpris de voir surgir, tout à coup, un bandit de grand chemin de derrière les rochers – comme il y en avait beaucoup à l’époque. Le tableau n’a pas été peint sur une toile, mais sur une surface en bois. Ses aspérités donnent un grain en relief à la roche.

Échec à Paris

Quel coin de Provence Courdouan a-t-il peint ? On l’ignore. Brigitte Gaillard, conservatr­ice en chef du musée d’Art de Toulon, estime qu’il pourrait se situer vers les gorges du Verdon. Vincent Courdouan séjournait en effet beaucoup à l’époque à Moustiers-SainteMari­e, dans la résidence du président du tribunal de Toulon, Victor Clapier. C’était l’époque où sa vie l’accablait. Il était revenu de Paris, où il avait essayé de tenter sa chance dans les milieux artistique­s, mais n’avait pas eu le succès escompté. Malgré son amertume, il n’en avait pas moins connu la réussite dans notre région et avait pris sa place au sein d’une école provençale, où l’on trouve aussi des Toulonnais comme Cauvin, Guérin, Pezous, Baboulène - dont plusieurs oeuvres sont au musée d’Art de Toulon. La vie sentimenta­le de Courdouan était en revanche un naufrage : il s’était marié avec une de ses élèves beaucoup plus jeune que lui, qui l’avait quitté au retour de leur voyage de noces. À cette époque romantique, les artistes – écrivains, musiciens, peintres – exprimaien­t leurs états d’âme dans leurs oeuvres. Cette Vallée des angoisses le rappelle.

 ?? (Photo DR) ?? Le virage de la Gare, épingle à cheveu qu’il fallait bien négocier...
(Photo DR) Le virage de la Gare, épingle à cheveu qu’il fallait bien négocier...
 ?? (Photo DR) ??
(Photo DR)
 ?? DR) (Photo ??
DR) (Photo

Newspapers in French

Newspapers from France