Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
« Mareyeurs du Sud-Est » : l’empire du homard à l’oseille
Ce n’est pas un procès, c’est une partie de cache-cash. Depuis hier, le tribunal correctionnel de Nice juge l’affaire des « Mareyeurs du Sud-Est ». Du nom de cette entreprise niçoise qui s’était quasiment arrogé, jusqu’en 2012, le monopole de la marée. Elle fournissait les poissonneries, les grandes surfaces, et même les tables des restaurants, étoilés ou non. Un système corrompu qui florissait du Var jusqu’en Italie en passant par Monaco. Attention, procès-fleuve : 49 prévenus au total. Ce «cash investigation» avait débuté en novembre 2012 par un spectaculaire coup de filet mené par la gendarmerie maritime au Min, le marché de gros de Nice, le siège de la société.
Une défense entre deux eaux
Un million d’euros en petites coupures a été retrouvé dans les coffres du fondateur des « Mareyeurs du Sud-Est », Georges Leroy. Du cash à tout faire : pour soudoyer, payer des heures supplémentaires, distribuer des primes ou simplement adoucir les fins de mois de ses dirigeants. Ont été appelés hier à la barre Jean-Marc Le Pape, président du directoire et directeur commercial et Pascal Blanc, actionnaire de la société. Homards, langoustes, saumon : avec eux tout se vendait. À condition de l’assaisonner à l’oseille. « Un système de fraude permanent », ontils admis. Des aveux certes, mais leur défense a donné à l’audience le sentiment de nager entre deux eaux. Avec Le Pape et Blanc, les clients et le fondateur de la société sont comme le cabillaud. Ils ont bon dos. La sous-facturation qui permettait de dégager du cash ? « C’était à la demande des restaurateurs. » Ce système décrit comme mafieux par une salariée ? « C’est le fondateur qui l’avait instauré. » Georges Leroy n’aura guère l’occasion de se défendre. Il est décédé en mars 2015. Certes, il avait reconnu les faits. « Mais vous avez bien perfectionné le système » ,a relevé la procureure de la République, Laetitia Manouvrier.
Valse des fausses factures
L’audience a dévoilé une effarante valse des fausses factures. Au coeur du système, la « clé de répartition. » Une belle formule pour décrire le mode de reversement des bakchichs. Une commande de poisson passée par un resto chic de la Côte ? 50 % déclarés et payés en chèque, 50 % en liquide. C’était la règle. Parfois 2/3, 1/3. Graissant la patte, la société niçoise s’assurait ainsi un quasimonopole. Selon un ancien employé, Jean-Marc Le Pape allait même relever les compteurs au volant… de sa Jaguar. Son salaire avoisinait les 6 000 euros. La machine à cash des « Mareyeurs du Sud-Est » permettait de dégager des bonus atteignant 30000 ou 40000 euros en fin d’année. En liquide évidemment. À l’audience, tout ce petit monde, qui pratique ainsi depuis des décennies, n’a pas semblé, sauf exception, bien réaliser. Beaucoup de connivence, de sourires entendus, parfois des rires qui agaceront le tribunal. « Ça fait cinquante ans que ça fonctionne comme ça Monsieur le président.» Bigre. Les mareyeurs livraient du saumon bio qui n’en était pas, organisaient d’incroyables ventes de Noël où tout se payait en liquide. Tout ceci prêterait à sourire si le contribuable n’avait pas été lésé et le client mis en danger. Ce petit monde s’amusait en effet à traficoter les dates limites de consommation et vendait des langoustes quasi mortes à moitié prix. « Vous allez tuer quelqu’un », a un jour réagi Marcel Geers, l’un des salariés.Le jugement sera rendu 16 juin.