Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
De la confiance
Adieu donc à la loi de « moralisation ». Voici la loi « pour la confiance dans notre vie démocratique ». Le changement est bienvenu : il n’appartient pas à la loi, François Bayrou a raison de le souligner, de s’ériger en arbitre des élégances morales mais de dire le droit. Laissons aux talibans le ministère du vice et de la vertu. Changement bienvenu aussi car c’est bien là l’enjeu de cette réforme : non pas faire en sorte qu’aucun responsable public ne commette plus jamais aucun délit. C’est une vue de l’esprit. Mais créer les conditions pour que les manquements à la loi soient mieux détectés et réprimés. Afin, oui, de réparer, ou tenter de réparer, la relation de confiance qui s’est tellement abîmée entre les citoyens et leurs représentants. Rien n’est plus nuisible à la démocratie (et bénéfique à ses adversaires) que le climat de défiance où nous pataugeons, le fameux « tous pourris », alimenté par la litanie des « affaires », le sentiment de « deux poids-deux mesures », l’idée qu’« ils » passent toujours au travers. De ce point de vue, la loi Bayrou ne fera sans doute pas de miracles. C’est à l’usage, avec le temps, qu’on pourra juger de sa portée. Mais venant après bien d’autres (lois sur le financement des campagnes, loi dite « Cahuzac » sur la transparence de la vie publique, qui apportèrent de réels progrès), ce dispositif est ambitieux. Il y a là des avancées qui méritent d’être saluées. La refonte du financement de la vie politique et la création d’une « banque de la démocratie » vont dans le bon sens. La suppression de la Cour de justice de la République, ce tribunal d’exception où les politiques se jugent entre eux, est une excellente chose. La fin de la réserve parlementaire, aux relents de clientélisme, et le remboursement des frais de mandat sur justificatifs, comme tout un chacun, et non par le biais d’une enveloppe globale qui était un salaire déguisé et non imposable : enfin ! L’interdiction pour les ministres et parlementaires d’embaucher des membres de leur famille : d’une pierre deux coups. On élimine une source de favoritisme et le soupçon (souvent justifié) d’emplois fictifs. Il était temps. N’est-ce pas, M. Fillon ? N’est-ce pas, MM. Le Roux et Ferrand ? Que les personnes condamnées pour crime ou délit portant atteinte à la probité se voient infliger, en prime, dix ans d’inéligibilité, c’est d’autant plus justifié que le suffrage universel est mauvais juge. Voir le nombre d’édiles indélicats régulièrement réélus. Très opportunes aussi les nouvelles mesures contre les conflits d’intérêt : l’encadrement renforcé des activités de « conseil », qui relèvent souvent du lobbying inavoué. Et plus novatrice, l’obligation de « déport », qui interdirait aux députés de voter les textes touchant aux domaines où ils ont déclaré avoir des intérêts. Voir ce que les Assemblées en feront. Il y a un point d’équilibre à trouver. On ne va pas empêcher un médecin de s’exprimer sur les questions de santé. Sauf à peupler le Palais-Bourbon d’apparatchiks, il faut admettre que les députés – surtout s’ils n’ont droit qu’à trois mandats – ont une vie professionnelle en dehors de la politique. C’est une richesse pour le Parlement. A condition de ne pas mélanger les genres. Equilibre, c’est peut-être le maître mot dans cette affaire. Renforcer les garde-fous sans tomber dans une suspicion généralisée. Cela ne vaut pas que pour les élus, mais pour tous les acteurs de la vie publique, journalistes compris. A lire et à entendre les faux procès auxquels donne lieu le traitement de telle ou telle « affaire » ; à voir certains médias, dans une course effrénée au scoop et avec une parfaite méconnaissance du droit, confondre allègrement la loi et la morale, la chose publique et les relations d’ordre privé, les faits et les imputations, on se dit que les journalistes devraient eux aussi s’interroger sur leur responsabilité dans la défiance qui empoisonne notre démocratie.
« Laissons aux talibans le ministère du vice et de la vertu. »