Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Solitude

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ses… » Passe encore pour les amis opportunis­tes, mais pour les autres, les vrais, les copains de coeur ? « On a continué à m’inviter à des repas, mais je souffrais trop pour y aller. Et dès lors qu’on commence à refuser une fois, puis deux, puis trois… Après, c’est trop tard, on ne vous rappelle plus. C’est ma santé qui m’a tué», répète-t-il comme s’il cherchait à s’en convaincre.

Amis virtuels

Aujourd’hui, seuls les prospecteu­rs téléphoniq­ues le tirent par moments de sa torpeur quotidienn­e. Même avec eux, en général, il « raccroche » aussi sec. « Petit à petit, on se sent de plus en plus seul, et après c’est fini. » Mais alors, à quoi ressemblen­t les journées d’un homme seul? «A rien» , balaie-t-il, en tirant sur sa clope. Il peut se réveiller à 5 heures du matin, comme à 10 heures. « Tout dépend de la douleur et de la dose de morphine ». Pour ce qui est de «l’animation», il y a bien « la télé en bruit de fond pour avoir l’impression qu’il y a quelqu’un qui parle ». Mais il ne prête « plus attention depuis longtemps» aux bavardages cathodique­s. Ainsi va la vie lorsqu’on n’a « plus goût à rien » .On a « la flemme de faire le ménage, et même de se faire à manger tout seul ». Lire? Ça le «fatigue trop». Alors il se roule une clope. « Moi, c’est des brunes, à l’ancienne », précise-t-il avec passion. Il en fume « à peu près huit par jour ». Pas plus « parce que ça coûte cher ». « Heureuseme­nt », Michel a pu «bénéficier de la retraite à 60 ans après avoir exercé de bons métiers ». Même si, au bout du compte, les calculs sont vite faits. « Je touche 960 euros de retraite par mois. Quand on enlève le loyer et les assurances, à la fin, il n’y a plus rien. » Pas de quoi mener la grande vie en tout cas. De toute façon, Michel a tout perdu. Ses proches, ses rêves et ses espoirs. « Même si je gagnais au Loto, dit-il, je ne saurais même pas quoi faire de l’argent. » Un beau voyage ? Il se sent «trop diminué pour ça» .À peine trouve-t-il la force de sortir de chez lui pour vérifier sa boîte aux lettres. Aujourd’hui, ses sorties se limitent à aller de temps en temps au supermarch­é. « J’ai une nièce qui me prête sa voiture toutes les semaines ou presque. Elle sait que je ne suis pas très bien, mais j’évite d’en parler », confie-t-il en se grattant le menton. C’est qu’il n’aime plus s’éterniser avec les gens. « En général, je dis que j’ai ma salope qui m’attend à la maison… Ma salope, c’est la solitude », éclaire-t-il, plein de poésie. Puis il y a ce voisin qui «passe toutes les trois semaines voir si je suis encore là.» Sinon, il lui arrive de ne pas parler « pendant plusieurs jours » . Il ne veut pas de chien, ni de chat. « C’est trop d’obligation­s et ça coûte trop cher », se défend-il. Michel regrette qu’en France, les personnes seules ne sont, selon lui, pas assez accompagné­es. «En Espagne ou en Italie, croit-il savoir, on prend plus soin des personnes âgées, on ne les met pas en maison de retraite ». Et de s’en prendre à la Sécurité sociale : « Pour eux, c’est comme si on n’existait pas », peste-t-il. Un grand événement est arrivé dans sa vie. C’était il y a tout juste un an. Michel a investi dans un ordinateur. Il a découvert Google Earth qui lui permet de voyager un peu. « Pas plus tard qu’hier, je regardais où se trouvaient le Brésil et Madagascar… Ça me plaît bien. C’est la seule manière que j’ai trouvée pour voyager. »

Sentiment de honte

Il s’est aussi inscrit sur Facebook. Ses amis, il les compte sur les doigts de quatre mains. «Je dois en avoir 17 ou peut-être 18 », calculet-il, avec un certain souci de précision. Et encore, « ce ne sont que des amis virtuels avec qui je ne communique pas. Il s’agit plus de copains d’enfance retrouvés 50 ans plus tard juste par curiosité ». Dès qu’il geeke un peu trop longtemps, ça l’ennuie vite. tranche-t-il en écrasant sa cigarette. Ce qui lui manque ? « Avoir un planning, faire des choses. Mais surtout un peu de contact, un coup de fil de temps en temps. Que quelque chose bouge…» Tous ces maux qui le rongent, il n’en fait part à personne. « Je n’aime pas qu’on ne me voie pas bien » , résume-t-il. Pour lui, la solitude est bien plus qu’une simple souffrance, c’est aussi «une honte » qu’il cherche à dissimuler. Après plus d’une heure de discussion, Michel nous raccompagn­e, «heureux d’avoir enfin vu du monde ». La discussion s’éternise sur le pas de la porte. Il ne veut plus nous lâcher. Et nous fait remarquer, au passage, l’autocollan­t qu’il a collé sur la porte d’entrée de son appartemen­t : l’image d’un chien méchant peu accueillan­t. Il nous livre même cette dernière anecdote qui le fait beaucoup rire : « Pendant Halloween, raconte-t-il fier de lui, tous les gamins venaient frapper chez moi pour réclamer leurs bonbons. Alors je restais discrèteme­nt derrière la porte en grognant comme le chien. Grrrrrrhhh­hh. Ca marchait très bien. Depuis, ils n’osent plus revenir ! »

Si je gagnais au Loto, je ne saurais même pas quoi faire de l’argent” J’aime pas qu’on ne me voie pas bien”

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Cela fait des années que son téléphone ne sonne plus. Et lorsqu’il s’agit de prospecteu­rs, il raccroche aussitôt.

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