Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Procès Bertin-Cazeneuve : deux versions irréconciliables
La policière municipale niçoise a confirmé, hier en correctionnelle à Paris, qu’elle avait subi des pressions pour modifier son rapport. Des propos diffamants pour la police nationale
Sous lese ors et les boiseries de la 17 chambre correctionnelle du tribunal de Paris, Sandra Bertin, 30 ans, chef du centre opérationnel de la police municipale de Nice, s’avance à la barre, tout de noir vêtue. Elle doit répondre de diffamation publique envers Bernard Cazeneuve, ès qualités de ministre de l’Intérieur. La police nationale est également partie civile. La plainte a été déposée après une interview parue dans le JDD le 24 juillet. Sandra Bertin y dénonçait les pressions de la place Beauvau alors qu’on lui demandait, au lendemain de l’attentat du 14-Juillet, de transmettre un rapport sur la chronologie du drame et le positionnement des forces de l’ordre. La présidente Fabienne SiredeyGarnier, aussi courtoise que méticuleuse, rappelle les polémiques qui ont aussitôt éclaté après le drame de la promenade des Anglais. « On est loin du silence et du recueillement de l’après-Charlie ou de l’après-Bataclan», observe la magistrate. Christian Estrosi n’a-til pas accusé Bernard Cazeneuve de « mensonge d’Etat », au sujet des effectifs de la police nationale au moment de l’attentat ?
« J’avais besoin de protéger mes agents »
C’est dans ce contexte tendu, largement évoqué au début du procès, que Sandra Bertin, fermement soutenue par sa hiérarchie dénonce alors «des pressions», «du harcèlement », de la part « d’un membre du cabinet du ministre »... « Du ministère», rectifie aussitôt Sandra Bertin. La jeune femme, plutôt à l’aise dans ses échanges avec la présidente, persiste et signe. Elle rappelle la demande insistante de la SDAT (sous-direction de l’antiterrorisme) pour effacer «27000 heures d’images » enregistrées par les caméras de vidéosurveillance. « Certains parlent de complot », note la présidente. «Ce n’est pas mon propos », rétorque la policière municipale. L’effacement n’a finalement pas eu lieu. Il aurait nécessité une semaine de travail. Mais cet épisode participe à une atmosphère délétère, selon Sandra Bertin, qui l’a poussée à donner une interview décapante, confiant son désarroi et sa colère. «J’avais besoin d’alerter l’opinion » se justifiet-elle, «de protéger mes agents ». Elle affirme, même si les policiers nationaux n’y croient pas, que c’est une initiative personnelle. « Donnez-nous votre version quant au visionnage des images, le 15 juillet après-midi. » «Vous avez deux heures ? » plaisante Sandra Bertin. « C’est une boutade et je l’entends ainsi », remarque la présidente. Au lendemain de l’attentat, une commissaire de la direction centrale de la sécurité publique demande en urgence un rapport oral sur les événements. Le commissaire
Frédéric Le Pollozec se rend alors au centre de supervision urbain(CSU). Sandra Bertin, qui maîtrise l’outil informatique, se propose de rédiger un rapport écrit. « La commissaire demandait le positionnement des barrières, de la police nationale, municipale. Je répondais que ce ne serait peut-être pas possible. » Le commissaire Le Pollozec, appelé comme témoin, le confirme: «La population était dense, il était difficile, de nuit, de détecter les forces de police en présence. »
Poursuite des débats le juin
La présidente relaie les propos de Sandra Bertin: «Madame évoque un véritable harcèlement pour qu’elle inclue des éléments qu’elle ne pouvait voir à l’écran.» Le commissaire dément catégoriquement. Il rappelle qu’il s’agissait «d’un rapport »,« pas d’une réquisition judiciaire ».« L’ambiance était plutôt cordiale », insiste le policier. « A aucun moment, il n’y a eu des consignes farfelues », affirme-til. Les mêmes images étaient disponibles
dans onze autres sites sur Nice. La police nationale n’était pas obligée de passer par l’intermédiaire du centre de supervision urbain. Le commandant qui a pris le relais du commissaire pour la fin du visionnage des images, souligne « la fatigue extrême, l’émotion générale », pour expliquer un éventuel quiproquo, une mauvaise interprétation qui serait au coeur de ce procès. Assise devant ses avocats Mes Verrier et Marsigny, la chef du centre opérationnel de la police municipale se retourne face à son collègue de la police nationale pour marquer son étonnement. Une kyrielle de témoins à charge et à décharge doit encore défiler tout au long de la soirée. Impossible pour les avocats de plaider à une heure décente. La présidente prend l’initiative de poursuivre les débats le 16 juin prochain où les avocats de la partie civile et de la défense pourront croiser le fer.