Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Filière djihadiste de Cannes-Torcy : l’épopée syrienne racontée aux assises spéciales de Paris

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Ils ont rédigé des testaments parce qu’ils n’allaient « quand même pas chez Walt Disney », mais sont contents d’être rentrés vivants : deux accusés au procès de la filière djihadiste de Cannes-Torcy ont raconté leur périple syrien en 2012-2013. Abdelkader Tliba, 29 ans, et Ibrahim Boudina, 26 ans, cheveux noirs retenus en queue de cheval, encourent une peine maximale de vingt ans de réclusion criminelle pour leur participat­ion présumée à une associatio­n de malfaiteur­s à visée terroriste. Ce sont « les Syriens » du groupe de CannesTorc­y, vingt hommes jugés aux assises spéciales de Paris pour un attentat à la grenade dans une épicerie casher de Sarcelles (Val-d’Oise) en septembre 2012, des projets d’attaque dans le sud de la France et des départs en Syrie. Eux deux sont revenus, après seize mois passés entre la frontière turque et la ville syrienne d’Alep entre septembre 2012 et janvier 2014. Ils ont quitté Cannes pour aller «aider le peuple syrien», ont gagné la Turquie en avion puis franchi la frontière avec un sac de 5 kg de riz. Abdelkader Tliba affirme n’avoir « jamais combattu », Ibrahim Boudina avoir surtout « fait du “ribâat”, des rondes de guetteur pour assurer la sécurité des gens », là où il était.

« J’étais un combattant »

« J’étais un combattant », revendique néanmoins Ibrahim Boudina, qui veut donner des détails au président prêt à passer à autre chose : « Attendez, on n’a pas pris beaucoup de temps », dit-il. C’est son heure. Le récit de l’épopée. « A cette époque-là, quand on parlait de guerre en Syrie, on parlait de ce que faisait Bachar [al-Assad] à son peuple, pas de ce que faisaient les rebelles. La guerre, la violence, c’était Bachar», explique-t-il, appelant à « voir les choses avec les yeux de 2012 ». La cour prend des notes. Le Cannois se sentait « hypocrite » dans son « petit confort » et décide de partir. Son ami d’enfance, Abdelkader, est du voyage : « Je voyais ça comme un printemps arabe. » Dans la voiture qui les emmène à l’aéroport, ils rédigent leurs testaments sur «unmodèle » standard qui circulait à la mosquée de Cannes. « On n’allait quand même pas chez Walt Disney. On ne sait jamais, au cas où », explique Abdelkader Tliba. Mais il n’était «pas question » de mourir en martyr, ni pour l’un ni pour l’autre. Ils franchisse­nt sans encombre la frontière, alors « tenue par l’ASL », l’Armée syrienne libre, qui combat l’armée loyaliste et de plus en plus les groupes djihadiste­s qui montent en puissance. Boudina affirme avoir rejoint un groupe d’opposants au régime puis décidé de prendre ses distances quand les dissension­s ont grandi entre les différente­s factions opposées au président syrien. « Je leur ai dit, moi je ne suis pas venu en Syrie pour combattre d’autres musulmans, de l’Etat islamique en Irak et au Levant ou des rebelles de l’ASL », assure-t-il. « Je ne voulais pas quitter la Syrie, mais je n’ai pas eu le choix. » Ils reviennent clandestin­ement en France, l’un par l’Italie, l’autre par la Grèce, et sont arrêtés en janvier 2014 dans la région de Cannes. Quelles étaient alors leurs intentions? Tliba ne parle que de revoir sa famille. Boudina nie avec véhémence tout projet d’attentat « au carnaval de Nice ou ailleurs » alors que trois engins explosifs – des canettes de Red Bull bourrées de TATP – et une arme de poing ont été retrouvés cachés dans son immeuble. Et le masque retrouvé dans ses affaires? Pour se « grimer » en vue d’un braquage. Le procès se poursuit jusqu’au 21 juin.

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