Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Permis de présider
Rien de plus ridicule que cette forme de spiritisme politique consistant à faire parler les abstentionnistes. Dimanche soir, ce fut un festival. On entendit des commentateurs inspirés et des politiciens frustrés nous expliquer que vu le taux historique d’abstention, la victoire d’Emmanuel Macron et de sa République en marche n’en était pas vraiment une. On voit l’idée. Il s’agit tout simplement de délégitimer une majorité dont Jean-Luc Mélenchon, avec son habituel sens de la mesure, affirme que, vu le niveau de l’abstention, elle « n’a pas la légitimité de perpétrer le coup d’Etat social » que le pouvoir manigancerait. Ridicule et indécent, quand on sait que dans la circonscription de Mélenchon, le taux d’abstention atteint , %, , % chez son bras droit Alexis Corbière, , % chez Clémentine Autain. En réalité, ces procès en légitimité sont vains. Dans une société démocratique, chacun a le droit d’aller voter ou pas. Prétendre interpréter les intentions des abstentionnistes pour les annexer politiquement, ce n’est pas seulement abusif. C’est flirter dangereusement avec les thèses antidémocratiques d’un Maurras sur le « pays légal » et le « pays réel » ou les homélies post-maoïstes d’un Alain Badiou, dénonçant le vote comme « une cérémonie qui dépolitise le peuple » (sic !). Pour autant qu’on puisse le déduire des sondages et des conversations, les abstentionnistes du juin étaient de toutes sortes. Il y a ceux qui s’en fichent. Qui ne croient pas ou plus à la politique. Ceux qui éprouvaient un sentiment de saturation, de ras-le-bol, après une séquence politique trop longue et trop riche. Ceux pour qui seule compte la présidentielle. Ceux – pro ou anti-Macron –, qui ne voyaient pas pourquoi voter puisqu’on leur avait dit et répété que c’était plié d’avance. Ceux dont le candidat avait été éliminé au premier tour et qui n’en voulaient pas d’autre. Autant de raisons qui ne se lisent pas dans les chiffres. La seule chose sûre, c’est qu’en renonçant à choisir, les abstentionnistes s’en remettent au choix des autres. En ce sens, s’abstenir le juin, c’était acquiescer par avance au résultat qu’annonçaient les sondages. Ou à tout le moins, s’y résigner. Reste qu’un phénomène aussi massif (si on additionne abstention, blancs et nuls, cela représente près de millions de citoyens sur millions d’inscrits) ne manque pas de soulever un problème non de légitimité mais de vitalité démocratique. Trnte-huit pour cent seulement des électeurs se sont exprimés, ce n’est pas sain. Les jeunes et les milieux populaires ont décroché, c’est dangereux. Il faudrait s’interroger sur la pertinence du calendrier électoral : venant juste après la présidentielle, dont elles confirment automatiquement le résultat, les législatives apparaissent de plus en plus aux yeux des Français comme une formalité, un épilogue fastidieux et inutile. Au-delà, la désaffection des électeurs confirme qu’au terme d’une séquence pourtant marquée par un profond renouvellement de la classe politique et la mise au rebut d’un « système » à bout de souffle, la France n’en a pas fini avec la crise du système représentatif. Résorber la fracture civique, régénérer la démocratie : c’est l’un des grands défis du quinquennat qui s’ouvre. Cela passe par le remplacement du personnel politique (c’est largement fait), la moralisation de la vie publique, la rupture avec des pratiques politiciennes qui ne sont plus acceptées. Pas sûr que la gestion du cas Ferrand aille dans ce sens… Mais surtout, cela passe par des résultats, seuls à même de renouer le lien entre les Français et leurs dirigeants. Dimanche, les électeurs ont accordé à Emmanuel Macron une confiance conditionnelle. Ils ont tamponné son permis de présider. Ils ont déblayé les ruines du PS pour permettre à son parti d’occuper l’espace. Il lui reste à faire la preuve que sa méthode – ouvrir à la société civile, faire travailler ensemble des gens de gauche et de droite – peut réussir là où « l’ancien monde » a failli. Parce que plus que sur son programme, qui par certains aspects inquiète (la réforme du Code du travail, par exemple), Emmanuel Macron a été élu sur une promesse d’efficacité, parce qu’il a désormais tous les atouts en main, parce que l’offre politique qu’il incarne est apparue comme la seule alternative aux solutions extrémistes, il n’a pas le droit d’échouer.
« S’abstenir le 18 juin, c’était acquiescer par avance au résultat qu’annonçaient les sondages. Ou à tout le moins, s’y résigner. »