Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Les souvenirs de Dior selon Lucienne Rostagno

La nonagénair­e est la mémoire de Montauroux, où elle a travaillé comme employée agricole sur le domaine de la Colle Noire, ancienne propriété du célèbre couturier parfumeur

- VÉRONIQUE GEORGES vgeorges@nicematin.fr

La voix est énergique, à l’image de la personne. À 91 ans, Lucienne Rostagno a la mémoire intacte et son franc-parler : « si je dois dire merde à quelqu’un, je lui dis ». Elle se remet d’une fracture du col du fémur consécutiv­e à une chute, et il lui tarde de pouvoir retrouver son autonomie pour profiter de son jardin. « Je suis née dans cette maison, précise celle qui n’a jamais quitté la commune. Je faisais tous les jours 9 km pour aller à l’école au village ». La nonagénair­e a passé une grande partie de sa vie aux champs, comme ses parents. La propriété de ces agriculteu­rs est située dans le quartier de la Colle Noire, à deux cents mètres de celle que Christian Dior a rachetée en 1951. Un retour pour lui dans le Pays de Fayence, où son père Maurice, ruiné par la crise de 1929, s’était installé, à Callian précisémen­t. Il l’y avait rejoint en 1940 après sa démobilisa­tion. En Provence, le couturier continue à exploiter ce domaine agricole de 50 hectares sur lequel Lucienne Rostagno travaillai­t déjà comme saisonnièr­e. « Il a fait amener l’eau du village jusqu’à sa propriété. On cultivait des vignes, des fruits et des fleurs, se souvientel­le. On était huit, quatre hommes dont mon mari et quatre femmes. Sa plantation, c’était une merveille. Il y avait de la rose de mai bien sûr, mais aussi du jasmin, des lavandes, des lys blancs, des pêchers et des oliviers. » Et de préciser « la cueillette des roses et surtout du jasmin était fatigante. Savezvous qu’il faut 10 000 fleurs de jasmin pour faire un kilo? Avec une autre dame, nous en cueillions 5 kg par jour, et étions payées au poids. Et pour les roses, à l’heure ». Elle n’a pas oublié la première rencontre avec le créateur : «Il est venu avec le régisseur, qui nous a présentés. Il y avait deux Christian Dior. Le mondain et l’homme tout

simple. Nous, on le côtoyait seulement dans les champs. Il avait un contact direct ». À la mort de ce dernier «ilya soixante ans cette année », préciset-elle, elle garde son emploi sur place. Mais en 1969, au décès de son mari, cette mère de trois enfants se tourne vers la restaurati­on. Excellente cuisinière, elle a d’ailleurs rassemblé ses recettes traditionn­elles dans deux livrets, édités pour le compte de l’Associatio­n pour la sauvegarde et la préservati­on du patrimoine, en vente à l’Office du tourisme. « Ils sont partis dédicacés dans le monde entier », remarque-t-elle avec un brin de fierté. Car pendant vingt ans, Lucienne Rostagno a fait visiter la chapelle Saint-Barthélémy, léguée par Christian Dior à la commune en 1953. Un petit bijou, restauré et classé au Monuments historique­s pour ses murs et une voûte en berceau entièremen­t recouverts de panneaux de bois peints. « Je faisais aussi visiter le village. Étant du pays, je pouvais répondre aux questions des touristes », commente la Montaurous­ienne. En 2013, le groupe LVMH rachète la propriété, abandonnée. Après une rénovation quasi à l’identique, la demeure de coeur du couturier parfumeur ressemble à celle où il aimait se ressourcer. « Je suis contente que ce soit revenu à la maison Dior, confie-t-elle. J’ai été invitée à l’inaugurati­on l’an dernier. Cela m’a valu les honneurs d’une chaîne de télévision américaine. Ils sont venus tourner ici pour me faire parler de la culture des fleurs. » Lucienne Rostagno est une femme courageuse et travailleu­se, que la vie n’a pas épargnée, mais elle va « toujours de l’avant ». Encore aujourd’hui, elle regrette la disparitio­n de Christian Dior. Pas pour elle, mais pour son village. « Il est mort trop tôt. Il a eu un beau geste en offrant la chapelle. Il aurait pu faire beaucoup pour Montauroux ». Comme elle, Christian Dior est resté fidèle au Pays de Fayence. Il revenait à la Colle Noire plusieurs fois par an. Et c’est dans la commune voisine de Callian, qu’il repose,

Il y avait deux Christian Dior. Le mondain et l’homme tout simple” Il est mort trop tôt. Il aurait pu faire beaucoup pour Montauroux”

avec son père. S’il était là, il ne reconnaîtr­ait pas les lieux. « La plaine est défigurée. Il y a trop de constructi­ons faites n’importe comment, sans harmonie, souligne-t-elle. Avant, c’était des champs, de la vigne. Tout ce qu’aimait Monsieur Dior. Il faut sauver les dernières terres agricoles qui restent et les mettre en culture. »

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(Photo Philippe Arnassan)

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