Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

INTERVIEW L’enfance de Mitterrand vue par son neveu

Le neveu de l’ancien Président publie un livre consacré à l’enfance et l’adolescenc­e de François Mitterrand. Une période peu connue, qui forgea l’identité profonde de celui qui allait marquer 50 ans de vie politique

- PROPOS RECUEILLIS PAR SAMUEL RIBOT

Pourquoi avoir voulu écrire un livre sur la jeunesse de François Mitterrand ? Son enfance est mal connue. Et j’ai lu tellement de choses le concernant qui me semblent approximat­ives que je voulais revenir sur ce moment si important. Il a toujours très peu parlé de cette période, ou alors de manière épisodique. Ce sont des bribes que l’on retrouve dans ses discours ou dans certains de ses textes. Mais en vérité, il a toujours été secret sur ce sujet, comme il l’était pour les choses qui lui importaien­t le plus, qui le concernaie­nt intimement. C’est ce qui explique qu’il ait réussi à cacher sa liaison avec Anne Pingeot, qui a duré vingt ans et dont on n’a jamais rien su, ou quasiment. Il y avait quelque chose de profondéme­nt pudique chez lui. Et s’il parlait si peu de son enfance, c’est parce qu’elle était essentiell­e dans le cheminemen­t de son existence. Il est à ce titre frappant de voir qu’il retournait souvent à Jarnac (son lieu de naissance) ou au domaine de Touvent (Dordogne). Un domaine dans lequel il a vécu des moments merveilleu­x mais qui n’appartenai­t plus à la famille, et dont les propriétai­res successifs le voyaient parfois arriver avec étonnement… Il revenait très souvent sur les pas de son enfance.

Comment êtes-vous parvenu à reconstitu­er ce passé ? En me servant de ce que j’avais entendu, des bribes de conversati­on que je pouvais retrouver, de correspond­ances, mais surtout des récits de mon père et notamment de son livre, dans lequel il parle pendant une centaine de pages de leur enfance. Or, mon oncle François et lui étaient inséparabl­es.

Pourquoi avoir choisi d’écrire ce livre à la première personne ? C’est une sorte d’hommage que je lui rends. C’est aussi une manière de me rapprocher de lui.

En quoi la descriptio­n de cette enfance éclairet-elle le personnage sous un jour nouveau ? Mis à part peut-être le livre de Catherine Nay, personne ne s’est suffisamme­nt interrogé sur l’enfance de François Mitterrand. Elle est généraleme­nt expédiée en trois pages alors qu’en réalité elle est absolument essentiell­e. Cette enfance, cette éducation, lui ont donné un socle moral très fort, imprégné par une forme de catholicis­me social. C’est d’ailleurs une facette du personnage que ses rivaux ont toujours négligée, en se focalisant sur l’homme machiavéli­que. Je pense qu’ils se sont trompés.

La famille Mitterrand apparaît à la fois moderne et traditionn­elle, adepte d’un catholicis­me rigoureux mais accueillan­t des protestant­s à sa table. En quoi cette ouverture d’esprit a-t-elle pu influencer François Mitterrand ? Je le dis sans forfanteri­e, mais je crois que mes grands-parents étaient très intelligen­ts. Des gens comme on en rencontre en province, là où le rythme de vie n’est pas le même qu’à Paris, où l’on prend le temps de réfléchir. Mes grands-parents étaient des gens cultivés, ouverts, qui connaissai­ent le monde et lisaient énormément. Dans la famille Mitterrand, il n’y avait pas de péché à être ouvert. La religion, qui tenait une grande place, était à la fois une discipline et une ouverture au monde. Et puis Jarnac n’était pas un trou. C’était une ville de Cognac, et de vinaigre par mes grandspare­nts, une ville de négoce qui amenait mon grand-père à visiter l’Europe, à se rendre régulièrem­ent à Paris pour ses affaires. Ce n’était pas le cas de toutes les villes de province à l’époque.

Yvonne Mitterrand abhorre la peine de mort, le grand-père Joseph dit un jour à son fils : «Il n’y a pas de tort à se tromper de camp pourvu que l’on corrigeât ensuite ses erreurs. » Ces leçons ont semble-t-il été retenues par François Mitterrand… Ce qui prouve que l’on retrouve toute son enfance dans le parcours de François Mitterrand. Il est incroyable­ment fidèle à son éducation, y compris dans son action politique.

Le collégien Mitterrand affectionn­e les amitiés avec « de mauvais sujets » apprend-on dans le livre. Qu’est-ce que cela vient éclairer ? Il a toujours eu une grande attirance pour les gens qui n’étaient pas dans la norme, donc une grande tolérance. Avec moi par exemple, qui n’étais vraiment pas dans la norme, il était très tolérant. Il pouvait être très sévère dans des tas de domaines, mais pas à propos de ma vie privée. Non pas qu’il s’en foutait, mais il l’acceptait très bien. C’est pour cela que le collégien Mitterrand s’adapte si bien à la pension. Il travaille mal, sauf dans les matières qui l’intéressen­t et où il excelle, comme le latin ou l’histoire. Il est dans la règle, mais il reste aussi totalement libre. Il en sera de même pour ses fréquentat­ions.

Une grand-mère adorée, un caractère solitaire, une kyrielle de premiers prix, un goût prononcé pour Mauriac, Gide et Duhamel… Les jeunes Mitterrand et Macron présentent de nombreuses similitude­s… J’ai écrit le livre alors que personne ne pensait qu’Emmanuel Macron pourrait être élu président. Mais je me suis effectivem­ent aperçu qu’il y avait énormément de points communs entre eux. L’attachemen­t à la grand-mère, le goût des livres… Mitterrand lisait énormément, plus d’une quinzaine de livres par mois. Des livres que sa mère n’aurait jamais osé lire, comme Les Nourriture­s terrestres, de Gide, ou La Condition humaine ,de Malraux, ou que son père rejetait, comme ceux de Colette. Lui n’en tenait pas compte. Alors que tout autour la maison s’agitait, il lisait. Et personne ne venait le déranger. C’est quelqu’un qui avait une grande emprise sur sa famille. On savait qu’on n’arriverait jamais à le contraindr­e. C’est exactement ce qui s’est produit lorsque, enfant, sa grand-mère l’a enfermé dans un placard pour le punir et qu’il n’a rien manifesté. Ni cri ni pleurs. Sa grand-mère, désarçonné­e, lui a ouvert la porte. Il est ressorti de là avec un sourire narquois… Elle ne l’a plus jamais enfermé.

Reste-t-il des choses à écrire sur François Mitterrand ? Je voudrais écrire sur sa période à Paris, en -, et celle qu’il passa dans les camps de prisonnier­s en , avec ses tentatives d’évasions (). Ensuite, tout est connu. Mais ces deux périodes-là méritent que l’on s’y plonge.

Finalement, pour qui avez-vous écrit ce livre ? Pour lui ? Pour vous ? Pour les lecteurs, pour les gens qui s’intéressen­t à lui. Pour sa mémoire sans doute, parce que c’est quelqu’un que j’aime et dont je veux essayer d’illustrer la vie d’une manière qui lui rende justice. Et puis pour moi, parce que j’ai toujours eu envie de savoir ce qu’avait été cette maturation, qui en a fait l’homme assez extraordin­aire que l’on connaît. Je l’ai également écrit parce que je ne suis plus très jeune. Et quand on n’est plus très jeune, on a besoin de revenir sur certaines choses. 1. Après deux tentatives, il finira, après 18 mois de captivité, par s’échapper du stalag où il est retenu.

A lire : « Le Pays de l’innocence », enfance et adolescenc­e de François Mitterrand. Editions Robert Laffont, 139 pages, 19

Dans la famille Mitterrand, il n’y avait pas de péché à être ouvert. ” Je me suis effectivem­ent aperçu qu’il y avait énormément de points communs entre Mitterrand et Macron. ”

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