Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Signé Roselyne
Le regard de Roselyne Bachelot sur l’actualité
Lundi
Jean-Claude Mailly multiplie les déclarations de bonne composition pour ne pas bloquer la concertation sur la réforme du Code du travail. Pour bien connaître le patron de Force ouvrière (FO), j’avoue que cette soudaine affabilité m’a d’abord laissée perplexe et plusieurs scénarios, non exclusifs les uns des autres, étaient envisageables. Les mauvais esprits insinueront que les violences des dernières manifestations n’ont pas redoré l’image de nos syndicats par ailleurs les moins représentatifs d’Europe. De plus, la mise sur le pavois médiatique de la CGT a relégué la centrale de l’avenue du Maine au rôle de comparse, ce qui n’est pas fait pour plaire à Mailly. D’autres, plus retors, soupçonneront le gouvernement d’avoir secrètement assuré que rien de substantiel ne sortirait de la négociation et que moyennant quelques douceurs, le syndicaliste pourrait avaler son chapeau sans être humilié. Pour ma part, je prends JeanClaude Mailly pour un homme redoutablement intelligent qui a parfaitement identifié que le mouvement de dégagisme, la volonté de surmonter les vieux clivages, le désir de solutions concrètes pour remettre la France « en marche », tout cela concerne aussi les corps intermédiaires qui feraient bien d’en tirer les conséquences, sauf à passer à leur tour à l’estrapade. L’onde de choc de l’incroyable séquence électorale primaire-présidentielle-législatives n’est pas prête à redescendre et fera d’autres victimes. Jean-Claude Mailly pourrait ainsi se convertir enfin au réformisme syndical, seule méthode pour un dialogue social fructueux. La proposition du « chèque syndical » qui assurerait des revenus stables aux organisations de salariés pourrait être une prise de guerre pour Mailly, mais il ne l’obtiendra qu’avec de sérieuses concessions au patronat sur le plafonnement des indemnités de licenciement, la préférence accordée à la négociation au niveau de l’entreprise, les seuils sociaux ou encore la fusion des instances représentatives du personnel. On n’en est pas encore là, mais il convient de saluer le talent de Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, dont l’habileté et la prudence contrastent singulièrement et heureusement avec l’amateurisme brouillon de madame El Khomri. Mais tout cela, c’était il y a un siècle…
Mardi
L’aristocrate François de Rugy, passé par les écologistes de droite puis de gauche, s’était présenté à la primaire organisée par le PS en s’engageant à soutenir le vainqueur Benoît Hamon puis avait rallié Emmanuel Macron. Les JO d’hiver n’ayant pas lieu cette année, Monsieur de Rugy a donc été élu au perchoir de l’Assemblée nationale où nul doute que ses brillantes qualités de slalomeur feront merveille.
Jeudi
Eric Woerth, député Les Républicains, a été élu président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Rappelons, au passage, que cette disposition qui permet à l’opposition d’exercer un rôle éminent de contrôle sur les lois de financement a été voulue par Nicolas Sarkozy. C’est lui aussi qui a voulu que les questions au gouvernement ne soient plus réparties à la proportionnelle des groupes mais que la moitié en soit dévolue à l’opposition qui peut ainsi interpeller le gouvernement avec alacrité, bien loin des questions « téléphonées » des députés de la majorité. Avec l’instauration de la QPC [question prioritaire de constitutionnalité], qui permet à tout citoyen de contester la constitutionnalité d’une loi, les réformes voulues par l’ancien Président sont des avancées dém ocratiques majeures qui ne sont pas suffisamment portées à son crédit. Il est heureux d’ailleurs qu’à l’occasion de cette élection, le groupe La République en marche ! n’ait pas rejoué la manoeuvre détestable qui a abouti, mercredi, à priver, au profit d’un allié, le groupe LR et son candidat Eric Ciotti du poste de questeur qui lui revenait de droit. Le président des macroniens, Richard Ferrand, s’est livré avec ses troupes àune combinazione peu ragoûtante. Il faut espérer que cela ne se reproduira pas sauf à entacher les déclarations de bienveillance d’Emmanuel Macron d’une suspicion fâcheuse.
Vendredi
Dominique Schnapper qui fut la collègue de Simone Veil [photo AFP] au Conseil constitutionnel salue sa mémoire par ces mots : elle ne fut pas une politique mais une femme de convictions. Faut-il que nous soyons arrivés à un stade ultime de dévoiement de la vie publique pour qu’une personnalité aussi éminente prononce une phrase aussi insultante pour tous ceux qui ont choisi de se consacrer aux affaires de la France. Pour rendre hommage à Simone Veil, il faudrait en quelque sorte la laver de la politique comme si c’était une activité dégradante pour ceux et celles qui l’exercent. Eh bien non ! Simone Veil fut une femme politique et elle le revendiquait haut et fort. Elle était à la fois intransigeante sur les principes, ferme sur les objectifs et habile sur les stratégies. Intransigeante sur les principes, elle le fut chaque fois qu’il s’agissait de la dignité humaine, s’opposant à Giscard d’Estaing qui voulait imposer le retour forcé des Algériens dans leur pays, taclant Rocard et l’informatisation des fichiers des Renseignements généraux, condamnant Sarkozy pour l’instauration d’un ministère de l’Intégration et de l’Identité nationale. Elle fut une adversaire déterminée du Front national ne supportant pas ses compromissions avec ceux qui avaient collaboré
« Simone Veil est une survivante qui savait que la dureté est la condition de la résilience. »
avec les nazis. Simone Veil était également ferme sur les objectifs et il est sans doute dommage que l’aura qui entoure justement la loi sur l’IVG occulte son bilan de ministre de la Santé puis des Affaires sociales. Je pense en particulier à la revalorisation statutaire et financière de la profession d’infirmière, à la réhabilitation de l’Institut Pasteur ou à la restructuration hospitalière qui lui fit de nombreux ennemis chez les élus locaux, ce qui n’était pas fait pour l’impressionner. Mais elle savait aussi être habile pour arriver à ses fins. Son discours devant l’Assemblée nationale pour défendre le droit à l’avortement est un modèle du genre. Nulle revendication féministe qui eût hérissé l’aréopage masculin qui s’était arrogé le droit quasi exclusif de décider du sort des femmes, son propos n’argumente que sur de strictes considérations de santé publique qui convaincront la minorité de députés de droite nécessaire pour faire passer le texte avec les voix de la gauche. Ainsi toute sa vie, Simone Veil est restée fidèle à son camp sans ménager les critiques et les moqueries devant les lâchetés et les médiocrités de ses commis. L’entendre ainsi dresser avec une totale et lucide cruauté le portrait de François Bayrou – et de tant d’autres – était un délice dont je ne me lassais pas… Simone Veil est donc bien une femme politique loin de l’image iconique et quelque peu mièvre que les thuriféraires sont en train de dresser. Une survivante qui savait que la dureté est la condition de la résilience, une ministre dont les colères homériques étaient aussi célèbres que les attentions bienveillantes, une femme qui savait, comme nous toutes, que rien ne lui serait donné qu’elle n’ait ellemême conquis.