Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Le président-philosophe
De la longue, très longue, adresse au Parlement qui marque en quelque sorte la fin du préambule et le début de la phase « active » du quinquennat, on ne dira certes pas que le président Macron a pris l’exercice à la légère. Ce n’était pas un discours programme. Les amateurs d’annonces auront été déçus. Ce n’était pas une déclaration de politique générale : c’est l’affaire du premier ministre, Edouard Philippe, qui s’en acquittera aujourd’hui même. C’était, suppose-t-on, dans l’esprit du chef de l’Etat, ce qui a tant manqué dans les années précédentes : la définition d’un cap. C’est-à-dire un projet, une ambition, une volonté. Plutôt qu’un discours sur l’état de l’Union, comme on dit aux Etats-Unis (l’état de la France est mauvais, le président ne l’a pas caché, et innombrables les plaies héritées des « années immobiles » - le quinquennat Hollande – ou « agitées » – celui de Sarkozy), c’est une leçon de philosophie politique que nous a administrée le disciple de Paul Ricoeur. Une réflexion sur les moyens de recréer la confiance des Français dans la politique, retrouver l’esprit des institutions, renouveler le pacte civique, réconcilier le pays avec lui-même, redonner aux citoyens leur autonomie confisquée, renouer avec le courage français, refonder l’Europe en retrouvant le souffle premier. Le préfixe « re » était le motif récurrent de ce long exercice dialectique où l’élu d’un peuple mélancolique semblait chercher aux origines de la République, dans un dialogue à distance avec les hommes des Lumières et les penseurs de la démocratie, les voies d’une « révolution » qui se veut d’abord resourcement. Le ton était grave, pénétré, solennel. Le contenu, si élevé qu’il imposait le silence à une assemblée qui aurait apparemment trouvé déplacé d’interrompre l’orateur par de vulgaires applaudissements. Sans doute, la pensée présidentielle, convoquant tour à tour Georges Bataille, Fernand Braudel et la philosophe Simone Weil, s’envolait par moments dans les cintres. Mais enfin, ne faisons pas de mauvais esprit. Puisque le président nous invite à « faire taire le cynique qui sommeille en chacun de nous », convenons qu’il a eu le mérite de poser la question démocratique au niveau où elle se pose, dans un pays qui bat des records de pessimisme, doute de la politique et a pris en détestation ceux qui le gouvernaient depuis des lustres. « Faire à l’homme, enfin, un pays digne de lui », tel est le mandat qu’Emmanuel Macron estime avoir reçu des Français. « Vaste programme », aurait ironisé le général, qui il est vrai n’était pas moins ambitieux. On notera seulement que, ayant mis la barre si haut, le président n’a pas jugé bon de s’appesantir sur les moyens de réussir là où les autres ont buté. Il est ici question d’efficacité bien sûr, mais aussi - puisqu’il a lui-même opéré la distinction -d’ « effectivité », c’est-à-dire de la capacité à traduire la promesse républicaine dans les faits. C’est sur le contenu et le calendrier de la réforme des institutions qu’il a été le plus explicite, entendant qu’elle soit parachevée d’ici un an, au besoin par référendum. Pour le reste, c’était beaucoup plus flou. L’heure était au volontarisme, à « l’enthousiasme des commencements », pas au recensement des difficultés à venir. Tout juste Emmanuel Macron a-t-il concédé, dans un amusant aparté en forme de mise en garde à son premier ministre : « La France n’est pas un pays qui se réforme : c’est un pays qui résiste aussi longtemps qu’il est possible de ne pas réformer. » Mais c’était pour aussitôt s’en remettre à la capacité des Français de se dépasser face au danger. A ce moment, on a eu une pensée pour le premier ministre, l’homme chargé de mettre en oeuvre les transformations promises et de veiller à leur « effectivité ». Quelle pensée pouvait bien traverser son esprit ? Peut-être : « S’illedit… »
« On notera seulement que, ayant mis la barre si haut, le président n’a pas jugé bon de s’appesantir sur les moyens de réussir...»