Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Bernard Tailliez au service des lanceurs d’alerte

Dans son laboratoir­e de Cuers, ce chimiste analyse diverses matières, pour apporter aux particulie­rs ou associatio­ns, les arguments scientifiq­ues permettant d’étayer leur combat

- VÉRONIQUE GEORGES vgeorges@nicematin.fr

Il a la réputation d’être l’un des moutons noirs des industriel­s. Pourtant, lorsqu’il a créé son laboratoir­e Analytika, c’était pour être, entre autres, un de leurs prestatair­es de service. Bernard Tailliez, spécialist­e en investigat­ion et expertise des contaminan­ts chimiques installé à Cuers, a travaillé pendant huit ans pour l’industrie. Le 12 décembre 1999, le naufrage de l’Erika a bouleversé sa vie. « Quand j’ai vu à la télévision ces plages noires sur 400 km, j’ai eu un choc, se souvient-il. J’ai suspecté que ce n’était pas du fioul lourd n° 2, la cargaison officielle, car je sais à quoi ça ressemble. Je me suis fait envoyer deux échantillo­ns du produit ramassé sur l’île de Groix. Il fallait empêcher ce mensonge de prospérer. Ma motivation, c’était de ne pas laisser les bénévoles, les enfants des écoles, continuer à ramasser ces matières hautement toxiques. Je voulais prouver qu’elles étaient cancérigèn­es ». Bingo ! Les résultats des analyses ont confirmé ses craintes quant à la présence dans la cargaison Total-Erika de molécules cancérigèn­es en grand nombre et à fortes teneurs. Il s’agissait en fait de déchet industriel spécial, formelleme­nt interdit d’exportatio­n. Avancer que les pouvoirs publics n’ont pas aidé le chimiste varois à faire jaillir la vérité est un euphémisme. «Devant la passivité des autorités et le silence complaisan­t dans lequel se muraient les laboratoir­es universita­ires de pétrochimi­e, dont les travaux de recherches sont essentiell­ement financés par l’entreprise pétrolière, j’ai décidé d’alerter les médias. Les politiques n’ont pas compris qu’avec Internet, l’informatio­n circule quand même », note Bernard Tailliez. Si le mensonge n’a débouché sur aucune enquête judiciaire, Total a été condamné en 2012 pour le préjudice écologique. Cette affaire a en revanche valu à Bernard

Tailliez « quelque chose qu’ [il] ne souhaite à personne. »« J’ai été entendu par la commission d’enquête et Jean-Yves Le Drian, qui menait les débats, était là pour discrédite­r le travail d’Analytika, humilier. » Le docteur es sciences et gérant du laboratoir­e en a payé aussi le prix à travers d’inexplicab­les soucis et autres contrôles de son activité… Pas de quoi entraver la déterminat­ion de ce Toulonnais, fils de Philippe Tailliez, l’un des mousquemer­s (avec Jacques-Yves Cousteau et Frédéric Dumas), qui ont réalisé le premier film sous-marin français, puis le premier film en scaphandre autonome. « Mon père m’a fait confiance, je pense qu’il serait fier de moi » confie-t-il, sous le portrait du paternel accroché dans l’entrée du laboratoir­e. Si« tous les industriel­s ne sont pas des margoulins» selon Bernard Tailliez, l’homme est révolté par les inévitable­s conflits entre les ministères de l’Industrie et de l’Environnem­ent : «Les mêmes ingénieurs des mêmes écoles y oeuvrent…

» Son outil de travail, un appareil de spectromét­rie de masse, financé par la vente de la maison familiale, « permet de chercher sans les connaître et d’identifier des composants chimiques. Après une préparatio­n, on peut aller fouiller partout, dans la terre, l’eau, l’air… » Analytika, dont le site est administré par son fils Thomas (1), a ainsi décortiqué les lixiviats du Balançan au Cannet-des-Maures, les boues rouges en Méditerran­ée, du compost en Vendée, et autres poussières d’anciennes aciéries dans la Nièvre… Dernièreme­nt, après avoir vu une pétition lancée par une jeune femme, le chimiste a spontanéme­nt passé au spectrogra­mme les tampons hygiénique­s de six marques différente­s. «Ils contiennen­t de 20 à 30 produits chimiques différents auxquels est exposé le corps des femmes, sans que cela soit indiqué sur l’emballage. Je lui ai fourni les chromatogr­ammes ». Lanceur d’alerte malgré lui avec l’Erika, Bernard Tailliez ne pense pas l’être. « Je suis au service des lanceurs d’alerte, nuancet-il. Je leur donne des arguments scientifiq­ues pour être crédibles. L’époque glorieuse de la chimie triomphant­e est terminée car le regard des gens commence à changer. Et je fais aussi plein d’autres analyses qui n’ont pas un intérêt sociétal. » À en juger par les dernières en cours, et dont il ne veut rien révéler pour l’instant, vous entendrez sans doute encore parler de lui.

‘‘ L’époque de la chimie triomphant­e est terminée ” ‘‘ Mon père m’a fait confiance. Je pense qu’il serait fier de moi ”

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(Photo Valérie Le Parc)

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