Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Aider la forêt à renaître
Ingénieur à l’Office national des forêts (ONF), Bruno Teissier de Cros revient sur les conséquences du terrible incendie de Bormes-les-Mimosas. Spécificité, faune, flore, il dresse l’état des lieux
uelle est la spécificité des forêts de La Londe-lesMaures et de Bormes-lesMimosas ? Pour ces deux forêts, on parle de l’écologie du massif des Maures. On retrouve forcément de la pinède, mais surtout beaucoup de chênes-lièges. C’est ce chêne qui caractérise le massif des Maures, dont fait partie cette langue forestière de La Londe et Bormes. Et pour pouvoir exister, si le chêne-liège veut subsister, il faut, de temps en temps, un feu. Sinon, sur ans, il est supplanté par d’autres espèces et se retrouve pris en tenaille. Une chose est sûre, dès l’année prochaine, les chênes qui ont résisté seront de nouveau verts. Ils vont repartir.
Avec tous ces incendies, la forêt diminue-t-elle ? Dans le Var, non, c’est même le contraire. On a hectares de forêts supplémentaires tous les dix ans. C’est quasiment un nouveau massif des Maures tous les dix ans. Autre facteur important : la présence des vignes. Ce sont de véritables coupe-feu. Elles ont permis de protéger tout ce qui est encore vert. Les zones agricoles sont extrêmement importantes, il faut le souligner. Et malheureusement, elles tendent à disparaître.
Comment les vignes se défendent-elles face au feu ? La vigne est une espèce qui est relativement humide. Pour se propager, le feu a besoin de carburant au sol, au milieu et en haut. Sur la vigne, il va chauffer les premiers pieds puis être contraint de s’arrêter. Il n’y a rien d’autres à brûler. La vigne a encore une fois très bien joué son rôle. Si la flore a été touchée, la faune du massif l’a été également… L’emblème numéro un dans le massif des Maures, c’est la tortue d’Hermann. Cette dernière est une des cinq espèces protégées de France et au niveau européen. Le problème de la tortue, c’est qu’elle ne peut pas s’échapper. Elle va malheureusement griller sur place. Sur la population globale du secteur, il suffit de se balader un peu pour trouver des cadavres un peu partout. Avec l’incendie, on perd une partie de la population et comme elle est fragile, il suffit d’en perdre un peu trop pour qu’elle disparaisse. C’est en partie vrai. Mais plus on cherche des tortues, et plus on se rend compte que, dans le Var, il y en a beaucoup. L’espèce est-elle menacée ? Pour vivre et survivre, la tortue a besoin de forêt… mais aussi besoin de milieux ouverts ! Et le seul milieu ouvert, sans l’homme, c’est le feu. Même si il y a une perte immédiate, il faut voir ça à l’échelle de la population globale. Elle a besoin de ce genre de milieux. Le feu n’est pas forcément un danger absolu pour elles.
Que pensez-vous des récentes déclarations de la Fondation Bardot, réclamant la suspension de la chasse ? C’est beaucoup plus complexe que ça. L’écologie méditerranéenne est d’une très grande complexité. On ne peut pas se permettre de dire “il faut arrêter ça ou ça”. Les chasseurs ont un rôle très précis. Et nous, forestiers écologues, le savons très bien. Une chose est sûre, toutes les espèces qui ont pu se sauver, se sont effectivement sauvées.
Comme les sangliers, par exemple ? Oui. Mais le problème, c’est qu’en migrant, les sangliers vont se trouver en surpopulation à d’autres endroits. Cette analyse doit être faite. Il faut savoir si cette surpopulation va créer un problème ou non. Dans les Maures, on le sait, nous sommes déjà en surpopulation de sangliers. Ce n’est pas pour rien que les vignerons protègent leurs vignes. D’autres espèces ont-elles succombé au feu ? Hormis la tortue, la plupart des autres espèces ont pu s’échapper. Après, oui, si vous vous baladez, vous pouvez tomber sur un chevreuil brûlé, ou un sanglier. Il paraît même qu’un cheval se serait fait prendre au piège. Mais là, on parle de manière individuelle. On ne parle pas population.
Paradoxalement, le feu peut-il être un bienfait pour la forêt ? Il faut savoir une chose, c’est que sur une échelle de à ans, la forêt se ferme énormément. Et plus elle se ferme, plus sa diversité baisse. Quand un milieu s’ouvre comme ça, par un incendie, on remarque que cela peut même créer un boom de diversité. Évidemment, ce n’est pas politiquement correct. On ne peut pas se réjouir d’un incendie mais, malheureusement, l’écologie est faite comme ça. Le feu fait partie de la forêt méditerranéenne. Pour exister, elle a besoin du feu, besoin de cette perturbation. Le problème, c’est de pouvoir s’en protéger.
Et donc de débroussailler ? Exactement. Encore plus quand on habite dans ces zones sensibles. Sans débroussaillement, on a toutes les chances de se retrouver avec le feu qui passe chez soi. Les gens doivent se le mettre en tête et comprendre. A Bormes comme à La Londe, toutes les maisons sauvées sont celles qui, soit ont bien été débroussaillées, soit ont une chance folle. Mais je pense qu’il vaut mieux mettre toutes les chances de son côté.