Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Après les feux, le désarroi des propriétai­res forestiers

Frédéric-Georges Roux, président de Fransylva 83, rappelle que les incendies ont fait des milliers de victimes dans le Var : les forêts, sacrifiées, et leurs propriétai­res, oubliés

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La forêt varoise est privée à 80 % et les propriétai­res forestiers(1) qui viennent de voir leurs biens partir en fumée, sont les premiers perdants des incendies. Frédéric-Georges Roux, président de Fransylva 83, le syndicat des propriétai­res forestiers et sylviculte­urs du Var, exprime leur colère.

Quelle est votre réaction après ces milliers d’hectares partis en fumée ? Ma première réaction est de dire chapeau bas et honneur aux pompiers et aux bénévoles en orange des comités communaux des feux de forêts qui ont lutté sans répit, souvent au péril de leur vie, et grâce à qui nous ne déplorons aucune victime mais seulement quelques dégâts matériels minimes. Mais une fois cela dit, laissez-moi exprimer mon courroux car on oublie que chaque incendie a fait quand même des victimes : nos forêts d’abord mais aussi leurs propriétai­res. Toute forêt a un propriétai­re, privé dans plus des deux tiers des cas en région Paca, qui a pour mission de la gérer durablemen­t.

Les pompiers ne peuvent pas être partout… Évidemment, et je félicite les autorités qui ont su prendre les décisions qui s’imposaient, organiser les évacuation­s dans le calme. Mais les forêts sont aussi un bien dont la valeur est ignorée : paysage, biodiversi­té, puits de carbone, protection contre l’érosion, filtration des eaux, frein aux inondation­s en cas de fortes intempérie­s… Sans oublier le bois et l’énergie renouvelab­le que représente la biomasse forestière et qui ces derniers jours a seulement chauffé les nuages.

Avec le changement climatique, le risque d’incendie va aller croissant. Faut-il faire plus de prévention ? Ce n’est pas le changement climatique qui met le feu. Plusieurs mois sans précipitat­ion, un sol sec, une températur­e élevée, des vents violents ne peuvent qu’accroître les difficulté­s pour le maîtriser. Mais sauf exception rarissime, ce n’est pas la forêt qui prend feu, c’est toujours l’homme qui le met, par malveillan­ce, accident, imprudence ou inconscien­ce. Faut-il alors augmenter les moyens de lutte ? Où sont les limites ? Les préfets et leurs services ont été à la hauteur pour diriger et coordonner les moyens dont ils disposent, mais que d’aucuns considèren­t comme insuffisan­ts.

Vous considérez qu’on a assez de bombardier­s d’eau ? On pourrait en avoir deux fois plus ou annoncer qu’on en commande six dont le premier arrivera en  et le sixième en , ce n’est pas leur nombre qui est en cause. Le problème c’est qu’il y atropde départs de feux et que les pompiers sont contraints de se mobiliser autour des maisons et laissent brûler les arbres.

Les forêts ont-elles été sacrifiées ? Quand je dis trop de départs de feux, je veux rappeler d’abord que les grands feux, ceux qui détruisent les forêts sans que les canadairs et encore moins les pompiers au sol puissent faire grand-chose, ont toujours eu pour origine un petit feu. La stratégie, et c’est la bonne, veut que la priorité soit donnée aux feux naissants, faciles à éteindre avant qu’ils n’aient pris de l’ampleur. Rappelez-vous ce que DFCI signifie : défense des forêts contre les incendies et pas défense des maisons contre les incendies de forêts. Or vous avez pu voir, comme moi, des colonnes de véhicules de secours, remplis d’eau, suréquipés de pompes, de lances et de tuyaux, longeant des kilomètres de lisières boisées en combustion sans s’en préoccuper pour aller se poster au bout de la piste à côté d’une villa qui n’avait pas respecté les OLD.

Les OLD? Les obligation­s légales de débroussai­llement. Elles sont définies dans le code forestier et peuvent être complétées par un arrêté préfectora­l spécifique à chaque départemen­t. Ce débroussai­llement sur  mètres, parfois  autour des constructi­ons, est non seulement légal mais aussi obligatoir­e et surtout il est efficace. Chaque villa qui n’a pas respecté les OLD est potentiell­ement en danger. Elle mobilise deux camions et une demi-douzaine de pompiers qui sont de ce fait indisponib­les pour défendre la forêt contre l’incendie. Si le propriétai­re avait effectué les travaux prescrits, il n’y aurait pas grand besoin de pompiers, aussi tôt et aussi longtemps, si le feu avait pu être arrêté à distance.

Pourquoi les OLD, dont on avait tant parlé après les gros incendies de , ne sont-elles pas suffisamme­nt respectées ? C’est de la responsabi­lité des maires de contraindr­e leurs administré­s à respecter la loi, en plus c’est dans leur intérêt. Alors, permettez-moi de me fâcher quand j’entends un maire pleurniche­r parce que sa colline, qui n’est souvent pas à lui, est toute noire et pelée et que ça va faire fuir les touristes alors qu’il a autorisé des lotissemen­ts en lisière de forêt, quand ce n’est pas le mitage outrancier et les extensions de cabanons sans permis. Et permettez-moi de hurler contre ces tartines d’espaces boisés à conserver (ou à calciner !) dans les PLU, ces réserves et parcs nationaux et autres zonages qui mettent sous cloche des centaines d’hectares aujourd’hui cramés faute de sylvicultu­re durable…

Que préconisez-vous pour sauver la forêt? Certaineme­nt pas ce que dit un technicien de l’ONF, qui trouve normal que la forêt brûle car c’est bon pour les chênes-lièges et l’ouverture des milieux. Il est trop jeune pour avoir vécu le feu des Mayons de  ou celui qui, venant de Collobrièr­es, a fini dans ma colline de Carnoules en . Pendant qu’il y est, qu’il mette le feu puisque c’est bon pour la diversité ! Sérieuseme­nt, pour sauver la forêt, il faut développer une sylvicultu­re durable.

Comment refaire de la sylvicultu­re ? Il faut transforme­r les propriétai­res en gestionnai­res sylviculte­urs et en acteurs économique­s à chaque fois que leur forêt a de la valeur. Les propriétai­res forestiers doivent se prendre plus en main pour que leur forêt soit mieux respectée et valorisée. Il faut réamorcer une pompe. Par exemple, on peut valoriser le pin d’Alep en bois d’oeuvre, il a des qualités mécaniques supérieure­s aux autres essences. Pour cela, il faut des scieries, des architecte­s, des maisons. C’est toute cette filière forêt/bois qui donnera plus de valeur à nos forêts méditerran­éennes, ce qui permettra de mieux les entretenir et va contribuer à les protéger.

Les forêts sont un bien dont la valeur est ignorée ”

1. La forêt privée varoise compte 280 000 hectares. 9 000 propriétai­res possèdent plus de 4 hectares et 1 500 plus de 25 hectares.

 ?? (Photo Alexandra Boquet) ?? Pour le président des propriétai­res forestiers et sylviculte­urs du Var, les obligation­s légales de débroussai­llement ne sont pas suffisamme­nt respectées. Or c’est le moyen le plus efficace pour éviter que de petits feux dégénèrent en incendies...
(Photo Alexandra Boquet) Pour le président des propriétai­res forestiers et sylviculte­urs du Var, les obligation­s légales de débroussai­llement ne sont pas suffisamme­nt respectées. Or c’est le moyen le plus efficace pour éviter que de petits feux dégénèrent en incendies...

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