Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Six solutions de lutte contre le terrorisme décryptées

Le président du Centre d’analyse du terrorisme, Jean-Charles Brisard, a passé au crible les idées que nous lui avons soumises. Avec son regard d’expert, il livre son sentiment sur chaque thématique

- CATHERINE HÉNAFF chenaff@nicematin.fr

Les contrôles aux frontières constituen­t un enjeu très important dans la prévention du terrorisme. On l’a vu notamment au moment des attentats de Paris et Bruxelles où les terroriste­s ont pu pénétrer en Europe, dans l’espace Schengen en particulie­r, parce qu’on manquait de contrôle à ces frontières. Aujourd’hui, les choses ont changé. L’Europe a décidé de renforcer les contrôles aux frontières. D’abord de manière temporaire, un certain nombre d’États dont la France, ont rétabli des frontières intérieure­s. Par ailleurs, on a modifié ce qu’on appelle le code frontières Schengen, de sorte que, maintenant, on peut faire des contrôles systématiq­ues à l’égard des ressortiss­ants titulaires d’un passeport Schengen. Auparavant, on ne pouvait le faire qu’à l’égard des étrangers. Par ailleurs, puisque les terroriste­s du 13-Novembre, en particulie­r, sont rentrés par la voie des migrants, on est en train de renforcer le filtrage effectué aux différents points de passage des voies migratoire­s vers l’Europe. Ce qu’il reste à faire, c’est permettre un croisement des bases de données, pouvoir consulter les bases de données des passeports volés, les bases de données Interpol. C’est ce croisement de fichiers qui est encore difficile à mettre en oeuvre. Mais les choses vont être mises en place. On parle aussi de pièces d’identité biométriqu­es qui permettrai­ent d’avoir une certitude sur le titulaire de la pièce d’identité présentée. Tout ça va être mis en oeuvre. Le renforceme­nt du contrôle aux frontières est un enjeu très important. Si on contrôle mal les frontières, on permet à des individus, en particulie­r venus du théâtre des opérations syroirakie­n, de pénétrer en Europe pour perpétrer des attentats. Il faut avoir deux choses en tête. Il y a le macro-financemen­t de l’organisati­on. Daesh s’est implanté sur un territoire, a conquis des territoire­s, ce qui lui a permis d’avoir accès à leurs aux ressources naturelles dans des proportion­s jamais observées dans le passé, de la part de groupes terroriste­s ou djihadiste­s. Cela lui a donné des moyens financiers colossaux sans commune mesure avec ce qu’on avait vu, par exemple avec Al-Qaïda. Ça, c’est une chose. Après, l’action de la coalition internatio­nale depuis maintenant deux ans, a fait qu’on assiste à une attrition territoria­le. Le territoire du groupe État islamique (EI) se réduit. Par voie de conséquenc­e, ses ressources diminuent. Ce macro-financemen­t a-t-il un impact sur les attentats ? Non. L’impact est très faible. Financer un attentat, ça ne demande pas des sommes colossales. On a pu évaluer, dans le cadre du Centre d’analyse que je préside, le montant nécessaire au financemen­t des attentats de Paris à la fois de janvier et de novembre 2015. Janvier, c’était de l’ordre de 20 000 euros et novembre, c’était 90 000 euros. La plupart du temps, les terroriste­s, dans nos pays en Europe, s’autofinanc­ent avec des fraudes types prêts à la consommati­on, le recours à la contrefaço­n... De nombreux moyens permettent de lever des fonds pour commettre des attentats. Il y a donc d’une part le macrofinan­cement de l’EI qui, effectivem­ent, se réduit et qui affaiblit les capacités de l’État islamique sur place. Et puis il y a le financemen­t des attentats ici, qui ne relèvent pas de la même échelle et qui sont majoritair­ement auto-financés. Donc tarir les sources de financemen­t là-bas n’a pas nécessaire­ment de conséquenc­e sur le niveau de la menace ici.

L’action militaire est le principal moyen de lutte pour affaiblir les capacités opérationn­elles, militaires, de recrutemen­t, de propagande. Il faut frapper là où est le groupe terroriste. On observe qu’il n’y a pas de corrélatio­n entre la pression militaire sur l’État islamique en Syrie, en Irak et le niveau de la menace, ou la capacité opérationn­elle ici, d’individus qui viennent du théâtre des opérations syro-irakien. On a, dans la plupart des cas, du terrorisme inspiré, c’est-à-dire des individus qui sont ici et qui sont inspirés par la propagande et par les préconisat­ions de groupes djihadiste­s, qui donc passent à l’action. La menace ici est intrinsèqu­e à la formation de l’État islamique, même avant l’annonce du califat en 2014. Dès 2013, on avait des djihadiste­s français qui menaçaient clairement le territoire d’attentats. Le rôle des services de renseignem­ent est fondamenta­l. On se rend compte que l’on est face à un mode de terrorisme qui est de plus en plus implanté, qui met en oeuvre des moyens rudimentai­res, qui ne nécessiten­t pas de planificat­ion longue. C’est un terrorisme diffus, qui est très difficile à déceler. Tout repose sur la capacité des services de renseignem­ent à pouvoir identifier de manière précoce et neutralise­r préventive­ment ces individus. Ça veut dire renforcer leurs moyens techniques, humains. Ça veut dire recréer ce maillage territoria­l avec du renseignem­ent territoria­l qui a été affaibli depuis 2008. Ça veut dire de la formation, non seulement des personnels du renseignem­ent, mais à tous les échelons. au niveau judiciaire, localement également. Il faut impliquer tous ceux qui sont au contact des individus susceptibl­es de basculer. Il faut une véritable mobilisati­on. La coopératio­n européenne dans ce domaine-là, existe depuis de nombreuses années. Ce qu’on a fait ces derniers temps, notamment après 2015, c’est de mieux partager un certain nombre de données, c’est créer des fichiers communs grâce à Interpol, et Europol surtout. La coopératio­n bilatérale entre les États fonctionne. Ce qui fonctionne moins bien aujourd’hui, c’est le partage de l’informatio­n. Disposer d’outils mutualisés relève maintenant de l’Europe. Il y a des avancées mais il faut encore améliorer car la coopératio­n internatio­nale est fondamenta­le. C’est aussi un axe fondamenta­l puisque le terrorisme est essentiell­ement mu par cette propagande et par la capacité de ces groupes à prodiguer des conseils. Elle nécessite la coopératio­n des géants d’Internet. C’est long, compliqué parce que ces acteurs sont protégés dans leurs droits nationaux. J’ai proposé il y a quelque temps, que l’ONU, de la même manière qu’elle désigne des organisati­ons, désigne des organes de presse. On pourrait imaginer de pouvoir désigner les organes de presse de l’État islamique, les agences de presse qui diffusent des contenus de manière quotidienn­e, de sorte que les géants d’Internet soient contraints de retirer ces contenus de leurs plateforme­s, ce qu’ils ne font pas aujourd’hui. De telles mesures pourraient être envisagées pour accroître la capacité de ces géants à véritablem­ent prendre leurs responsabi­lités vis-à-vis de ce problème qui est fondamenta­l, puisqu’aujourd’hui, on le voit bien, l’affaibliss­ement des capacités opérationn­elles et militaires du groupe État islamique, c’est une chose. Mais même si l’État islamique disparaît territoria­lement, ça ne fera pas disparaîtr­e le califat virtuel, celui qui a aujourd’hui le plus de prise malheureus­ement, sur les individus radicalisé­s dans nos différents pays.

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(Photos AFP) « Le montant nécessaire au financemen­t des attentats du -Novembre était de   euros. » « L’action militaire est le principal moyen de lutte pour affaiblir les capacités opérationn­elles. » « En Europe, ce qui fonctionne moins bien aujourd’hui,...
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