Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Six solutions de lutte contre le terrorisme décryptées
Le président du Centre d’analyse du terrorisme, Jean-Charles Brisard, a passé au crible les idées que nous lui avons soumises. Avec son regard d’expert, il livre son sentiment sur chaque thématique
Les contrôles aux frontières constituent un enjeu très important dans la prévention du terrorisme. On l’a vu notamment au moment des attentats de Paris et Bruxelles où les terroristes ont pu pénétrer en Europe, dans l’espace Schengen en particulier, parce qu’on manquait de contrôle à ces frontières. Aujourd’hui, les choses ont changé. L’Europe a décidé de renforcer les contrôles aux frontières. D’abord de manière temporaire, un certain nombre d’États dont la France, ont rétabli des frontières intérieures. Par ailleurs, on a modifié ce qu’on appelle le code frontières Schengen, de sorte que, maintenant, on peut faire des contrôles systématiques à l’égard des ressortissants titulaires d’un passeport Schengen. Auparavant, on ne pouvait le faire qu’à l’égard des étrangers. Par ailleurs, puisque les terroristes du 13-Novembre, en particulier, sont rentrés par la voie des migrants, on est en train de renforcer le filtrage effectué aux différents points de passage des voies migratoires vers l’Europe. Ce qu’il reste à faire, c’est permettre un croisement des bases de données, pouvoir consulter les bases de données des passeports volés, les bases de données Interpol. C’est ce croisement de fichiers qui est encore difficile à mettre en oeuvre. Mais les choses vont être mises en place. On parle aussi de pièces d’identité biométriques qui permettraient d’avoir une certitude sur le titulaire de la pièce d’identité présentée. Tout ça va être mis en oeuvre. Le renforcement du contrôle aux frontières est un enjeu très important. Si on contrôle mal les frontières, on permet à des individus, en particulier venus du théâtre des opérations syroirakien, de pénétrer en Europe pour perpétrer des attentats. Il faut avoir deux choses en tête. Il y a le macro-financement de l’organisation. Daesh s’est implanté sur un territoire, a conquis des territoires, ce qui lui a permis d’avoir accès à leurs aux ressources naturelles dans des proportions jamais observées dans le passé, de la part de groupes terroristes ou djihadistes. Cela lui a donné des moyens financiers colossaux sans commune mesure avec ce qu’on avait vu, par exemple avec Al-Qaïda. Ça, c’est une chose. Après, l’action de la coalition internationale depuis maintenant deux ans, a fait qu’on assiste à une attrition territoriale. Le territoire du groupe État islamique (EI) se réduit. Par voie de conséquence, ses ressources diminuent. Ce macro-financement a-t-il un impact sur les attentats ? Non. L’impact est très faible. Financer un attentat, ça ne demande pas des sommes colossales. On a pu évaluer, dans le cadre du Centre d’analyse que je préside, le montant nécessaire au financement des attentats de Paris à la fois de janvier et de novembre 2015. Janvier, c’était de l’ordre de 20 000 euros et novembre, c’était 90 000 euros. La plupart du temps, les terroristes, dans nos pays en Europe, s’autofinancent avec des fraudes types prêts à la consommation, le recours à la contrefaçon... De nombreux moyens permettent de lever des fonds pour commettre des attentats. Il y a donc d’une part le macrofinancement de l’EI qui, effectivement, se réduit et qui affaiblit les capacités de l’État islamique sur place. Et puis il y a le financement des attentats ici, qui ne relèvent pas de la même échelle et qui sont majoritairement auto-financés. Donc tarir les sources de financement là-bas n’a pas nécessairement de conséquence sur le niveau de la menace ici.
L’action militaire est le principal moyen de lutte pour affaiblir les capacités opérationnelles, militaires, de recrutement, de propagande. Il faut frapper là où est le groupe terroriste. On observe qu’il n’y a pas de corrélation entre la pression militaire sur l’État islamique en Syrie, en Irak et le niveau de la menace, ou la capacité opérationnelle ici, d’individus qui viennent du théâtre des opérations syro-irakien. On a, dans la plupart des cas, du terrorisme inspiré, c’est-à-dire des individus qui sont ici et qui sont inspirés par la propagande et par les préconisations de groupes djihadistes, qui donc passent à l’action. La menace ici est intrinsèque à la formation de l’État islamique, même avant l’annonce du califat en 2014. Dès 2013, on avait des djihadistes français qui menaçaient clairement le territoire d’attentats. Le rôle des services de renseignement est fondamental. On se rend compte que l’on est face à un mode de terrorisme qui est de plus en plus implanté, qui met en oeuvre des moyens rudimentaires, qui ne nécessitent pas de planification longue. C’est un terrorisme diffus, qui est très difficile à déceler. Tout repose sur la capacité des services de renseignement à pouvoir identifier de manière précoce et neutraliser préventivement ces individus. Ça veut dire renforcer leurs moyens techniques, humains. Ça veut dire recréer ce maillage territorial avec du renseignement territorial qui a été affaibli depuis 2008. Ça veut dire de la formation, non seulement des personnels du renseignement, mais à tous les échelons. au niveau judiciaire, localement également. Il faut impliquer tous ceux qui sont au contact des individus susceptibles de basculer. Il faut une véritable mobilisation. La coopération européenne dans ce domaine-là, existe depuis de nombreuses années. Ce qu’on a fait ces derniers temps, notamment après 2015, c’est de mieux partager un certain nombre de données, c’est créer des fichiers communs grâce à Interpol, et Europol surtout. La coopération bilatérale entre les États fonctionne. Ce qui fonctionne moins bien aujourd’hui, c’est le partage de l’information. Disposer d’outils mutualisés relève maintenant de l’Europe. Il y a des avancées mais il faut encore améliorer car la coopération internationale est fondamentale. C’est aussi un axe fondamental puisque le terrorisme est essentiellement mu par cette propagande et par la capacité de ces groupes à prodiguer des conseils. Elle nécessite la coopération des géants d’Internet. C’est long, compliqué parce que ces acteurs sont protégés dans leurs droits nationaux. J’ai proposé il y a quelque temps, que l’ONU, de la même manière qu’elle désigne des organisations, désigne des organes de presse. On pourrait imaginer de pouvoir désigner les organes de presse de l’État islamique, les agences de presse qui diffusent des contenus de manière quotidienne, de sorte que les géants d’Internet soient contraints de retirer ces contenus de leurs plateformes, ce qu’ils ne font pas aujourd’hui. De telles mesures pourraient être envisagées pour accroître la capacité de ces géants à véritablement prendre leurs responsabilités vis-à-vis de ce problème qui est fondamental, puisqu’aujourd’hui, on le voit bien, l’affaiblissement des capacités opérationnelles et militaires du groupe État islamique, c’est une chose. Mais même si l’État islamique disparaît territorialement, ça ne fera pas disparaître le califat virtuel, celui qui a aujourd’hui le plus de prise malheureusement, sur les individus radicalisés dans nos différents pays.