Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
« Les djihadistes ont le cerveau lavé à l’eau de l’idéologie »
Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l’Orient, est un spécialiste unanimement reconnu. Ce politologue est l’auteur de plusieurs ouvrages liés au Moyen-Orient et au monde musulman
Êtes-vous surpris que l’Espagne ait été la cible de Daesh ? Pas le moins du monde. Tous les pays européens ont été ou vont être ciblés, sinon frappés, par l’État islamique. Et plus particulièrement l’Italie, l’Espagne et la France, tous trois des pays du pourtour méditerranéen. Pourquoi ? Parce qu’aux yeux de Daesh, la Méditerranée fait partie du monde musulman, de l’Oumma (). C’est en quelque sorte la zone d’influence naturelle de l’islam.
L’Espagne a-t-elle été visée en représailles de sa participation à la coalition internationale ? L’Espagne, c’est vrai, n’intervient militairement au Moyen-Orient que de façon très limitée. En cela, elle devrait être moins exposée que la France par exemple. Mais elle appartient néanmoins au monde occidental dont les dirigeants, depuis , ne cessent de répéter qu’il faut lancer la croisade contre le terrorisme, qu’au nom du droit d’ingérence, il faut défaire les dictatures. Les « recruteurs » de Daesh jouent là-dessus et insistent sur le côté égalitaire et libérateur de l’islam. L’État islamique, c’est l’anti-croisade. Par ailleurs, aux yeux de certains prédicateurs islamistes, l’Espagne est une puissance occupante. Considérant que toute terre foulée par un musulman devient terre musulmane, ils appellent en quelque sorte à la reconquête de l’Andalousie.
Ces attentats low-cost sont-ils une preuve de l’affaiblissement de Daesh ? Sur le terrain peut-être, mais pas dans les cerveaux des djihadistes lavés à l’eau de l’idéologie. C’est pourquoi, c’est une erreur de mettre en prison ceux qu’on appelle les « revenants ». Le résultat est qu’ils risquent de se radicaliser encore davantage et d’en convertir d’autres. Au contraire, il faut absolument les remettre dans le processus du savoir. Ce n’est que comme ça qu’ils acquerront l’altérité, les différences qui nous enrichissent, et retrouveront leur place dans la société. Pour en revenir à la voiture qui fonce dans la foule, c’est une arme facile qui ne demande aucune logistique, mais permet de semer la terreur, avec l’espoir de décortiquer, désarticuler la société. Or, une société qui a peur appelle à faire des bêtises.