Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Ramatuelle : génial swing de la légende du be-bop René Urtreger

- GÉRARD CRESTEIL

Jeudi soir, sur la scène du théâtre de verdure de Ramatuelle, un piano d’un autre temps a laissé filer ses notes au coeur d’une nuit brûlante. Que même le souffle de la nostalgie n’est pas parvenu à rafraîchir car trop respectueu­x de cette époque. Dans les travées, posés sur les célèbres coussins rouges, la plupart des spectateur­s ont signé un voyage imaginaire express de la cité varoise à SaintGerma­in-des-Prés. Vagabondan­t, regards mi-clos, du Tabou, au Club Saint-Germain, en déambulant de la Rose Rouge, au Caveau de la Huchette pour terminer au Duc des Lombards. Cette atmosphère d’un temps que les moins de vingt ans n’ont pas connu, c’est la patte René Urtreger. Pianiste légendaire qui du haut de ses 83 ans poursuit, infatigabl­e, sa quête acharnée de la « note juste ». Accompagné par la saxophonis­te alto Géraldine Laurent, le violoncell­iste Alexis Lagrada, le contrebass­iste Yves Torchinsky et son vieux compagnon le batteur Éric Dervieu, il revisite quelques standards de l’époque où il laissait filer ses doigts aériens sur les claviers au service des plus grands tels Lionel Hampton, Stan Getz, en passant par Dizzy Gillespie, Lester Young et Chet Baker sans oublier Miles Davis. Saxo et violon ajoutent de la modernité sans pour autant dénaturer les originaux. Bien au contraire. Comme quoi «le roi René» fait confiance à la jeunesse. Qui chez lui est éternelle. « On va maintenant vous jouer un titre de ma compositio­n, Timid. Sans E. Mais ne me demandez pas pourquoi car je n’en sais rien», murmure-t-il quasi religieuse­ment. Une fois devant son clavier, la timidité s’estompe. Le virtuose régale. Torchinsky pince avec maestria les cordes de sa contrebass­e, Lograda fait pleurer son violon, le saxo de Géraldine miaule langoureus­ement et Éric bat la mesure.

De Mile Davis à… Claude François

On boit du regard la prestation de ce jazzman aux dix vies. Aux excès aussi incommensu­rables que son talent. D’Un Poco Loco à All the Things You Are, les titres s’enchaînent. Des gradins, des flux d’applaudiss­ements saluent respectueu­sement chaque morceau solo des artistes. L’intime a tatoué les lieux. Quelque chose d’Errol Garner s’invite. On aimerait que le concert soit sans fin. Que Boris Vian monte sur scène. Que le grand Miles s’invite… Des rêves rendus possibles grâce à la magie de ce «Highlander jazzy » qui a su modeler le swing d’hier sans jamais le dénaturer. C’est cela la patte Urtreger. C’est évidemment cela l’esprit festival. Une boîte de jazz, de tous les jazz. Un grand écart perpétuel, risqué mais à chaque fois réussi. Le concert de M. Urtreger, ce musicien qui accompagna également Claude François et Serge Gainsbourg, en aura été la plus belle des illustrati­ons.

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