Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Levothyrox: surprescription et défaut d’information ? Actu
Alors que certains parlent de nouveau « scandale sanitaire », un spécialiste de la thyroïde dénonce un emballement, et met en cause des failles dans l’information et des traitements inappropriés
Je suis une utilisatrice du médicament Levothyrox, et depuis quelques semaines je me sens très mal: fatigue intense, mal de tête, prise de poids, constipation, mal à me lever le matin pour aller au travail et surtout vertiges… Je ne savais pas à quoi c’était dû, jusqu’à ce qu’une amie m’envoie une pétition à signer sur le changement de formule de ce médicament ! [..] Je n’étais même pas au courant, ni le médecin, ni la pharmacienne ne m’ont prévenue, en me disant que ça avait changé et que ça pouvait avoir des effets secondaires. Personne! Depuis je vis un enfer, je me sens mal et ça dégrade ma vie. » Ils sont aujourd’hui des milliers à témoigner, comme Amel, de troubles qu’ils attribuent au changement de formule du Levothyrox, l’un des médicaments les plus prescrits en France. Plus de 200 000 personnes auraient déjà signé une pétition contre cette nouvelle formule(1) commercialisée depuis fin mars 2017. Spécialiste des troubles thyroïdiens, le Pr Jean Louis Sadoul, endocrinologue au CHU de Nice, a vu passer des milliers de patients. Il décrypte pour nous «l’affaire Levothyrox».
Pourquoi la formule a-t-elle été modifiée ? Ces changements ont été effectués dans le but de sécuriser le médicament. On a ainsi supprimé le lactose, pour prévenir des incidents chez les patients intolérants à ce glucide. En réalité, les quantités de lactose présentes dans la formule initiale étaient très faibles, comparées à celles que l’on absorbe. Concernant le mannitol, qui a remplacé le lactose, il est aussi présent en très grandes quantités dans l’alimentation, les confiseries en particulier. Autre changement, un ajout d’acide citrique pour stabiliser les sels de levothyroxine, et éviter les différences de concentration existant d’un lot à l’autre et en fonction du délai entre la sortie d’usine et la prise du médicament. Des pharmaciens d’officine ont librement décidé d’alerter les patients sur ce changement de formule : « attention, il faut peutêtre aller voir votre médecin ». Et aujourd’hui, il existe un emballement de la part des patients, avec un effet boule de neige, les patients se stimulant les uns les autres.
Il reste que si les changements dans la formule sont modestes, les plaintes sont bien réelles. la rapidité d’apparition des troubles, tels qu’ils sont décrits. Habituellement, lorsque l’on modifie la posologie chez un patient, on attend au moins semaines avant de réaliser des qui va voir son médecin traitant parce qu’elle se sent fatiguée, déprimée… etc. Face à ces symptômes, et à l’issue d’une consultation qui ne dure parfois que quelques minutes, le médecin prescrit une analyse du sang, incluant un bilan thyroïdien. Ce bilan met souvent en lumière des anomalies comme une élévation mineure de la TSH ou un taux élevé d’anticorps thyroïdiens (c’est le cas de près de % des Français). Certains médecins vont alors conclure : «ily a un problème de thyroïde » et démarrer un traitement.
Quelle devrait être la marche à suivre ? Normalement, il faut attendre, sachant que % des patients « se normalisent », % se stabilisent et seulement % vont évoluer vers une hypothyroïdie (plus rarement une hyperthyroïdie) dans les ans. Sauf condition particulière (désir de grossesse ou grossesse en cours, hypercholestérolémie…), les deux premières catégories de personnes ne devraient pas être traitées. Si le Levotyrox est un médicament vital pour beaucoup de patients, certaines prescriptions ne sont pas justifiées. Quelles conséquences ces prescriptions excessives ont-elles? Les patients traités à tort ne vont logiquement pas noter d’amélioration de leur état de santé (fatigue, douleur, déprime…). Ils vont alors colporter l’idée qu’il est difficile d’équilibrer le traitement etc., alors qu’ils sont en fait surdosés. Une partie des patients qui aujourd’hui manifestent leur colère est dans cette situation ; en réalité, le traitement n’a jamais amélioré leur état de santé, lié certainement à d’autres problèmes que thyroïdiens.
Combien de Français sont concernés par ces traitements inappropriés? Il est difficile de donner des chiffres. Mais même si on estime que cela ne concerne que % des patients, cela fait tout de même plus de personnes ! Cela pèse lourd, autant en termes de santé publique, que d’un point de vue économique : multiplication de bilans sanguins, examens… Beaucoup d’argent est dépensé pour rien!
Dans ce tumulte, quels conseils donnez-vous aux patients ? De ne surtout pas arrêter leur traitement par Levothyrox pour le remplacer par d’autres médicaments, comme les gouttes qu’il faut réserver aux petits enfants ; ou comme les extraits de thyroïde animale ! Si on ne sent pas bien, il est conseillé de refaire un dosage.
Le défaut de spécialistes, susceptibles d’informer et calmer les peurs, n’est peut-être pas étranger à cet emballement… La région est effectivement aujourd’hui sinistrée en termes d’endocrinologues, on en forme à peine un par an, alors que les problèmes thyroïdiens sont extrêmement fréquents… (1) Il s’est agi de remplacer un excipient (le lactose) par le mannitol et l’acide citrique anhydre. Le principe actif est inchangé.