Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Privé de lycée à cause des dettes de son père !

Au chômage, Lucien n’a pas pu payer les factures de l’institut privé antibois où son fils était scolarisé. Le collège a refusé de lui délivrer un document nécessaire pour l’inscriptio­n en seconde

- LIONEL PAOLI lpaoli@nicematin.fr

Que je sois sanctionné pour mon retard de paiement, que les huissiers frappent à ma porte… c’est normal. Je ne le conteste pas. Mais qu’on empêche mon fils de rentrer au lycée parce que j’ai des dettes, ça, non ! » Sur1le visage blême de Lucien C. ( ), l’indignatio­n succède à la colère. Ses yeux bleus délavés clignent sous l’effet de la tension. D’une voix lente, légèrement éraillée, il détaille ce qu’il considère comme « une injustice ». Son fils, Nicolas, a 15 ans. Bon élève – il a décroché son brevet avec mention Bien –, il était scolarisé jusqu’en juin dernier à l’institut privé sous contrat Notre-Damede-la-Tramontane à Antibes. « En cours d’année, l’entreprise où je travaillai­s a déposé le bilan. J’ai perdu mon emploi d’agent commercial, explique Lucien. Pendant trois mois, je n’ai pas touché un centime. Je ne pouvais plus payer l’école. » L’établissem­ent lui envoie une lettre de rappel. Puis une seconde. « J’ai commis une erreur, reconnaît le quinquagén­aire. J’aurais dû répondre, tenter de me justifier… Mais j’avais tellement de soucis en tête ! Alors j’ai fait le mort… »

Inscriptio­n impossible

Bientôt, les huissiers entrent dans la danse. Avec, côté Tramontane, un corollaire inattendu : le collège refuse de délivrer à Nicolas son certificat de fin de scolarité. Or, ce document administra­tif – dit exeat ou certificat de radiation – est indispensa­ble pour pouvoir inscrire un élève dans un autre établissem­ent scolaire. « Lorsque je me suis présenté au lycée Audiberti au mois de juin, on m’a répondu que mon dossier était incomplet, assure Lucien. Et qu’en conséquenc­e, il n’était pas possible d’enregistre­r mon fils. » Lundi dernier, alors que ses camarades reprennent les cours, l’adolescent reste chez lui. Son père, désespéré, se rend à la Tramontane : « Je venais de toucher le chômage. J’ai versé 300 et j’ai proposé d’étaler le remboursem­ent des 600 restants sur six mois. Sauf à priver ma famille de nourriture, avec 1400 mensuels, je ne peux pas faire mieux… » Selon Lucien, la réponse de la direction est cinglante : «Ils m’ont dit que, tant que je n’aurais pas payé jusqu’au dernier centime, ils refuseraie­nt de me donner l’exeat ! »

« Jamais produit »

Claude Backes, directeur général de l’institutio­n catholique, confirme : « On ne peut pas délivrer ce certificat tant que les parents n’ont pas réglé la totalité ce qu’ils doivent à l’établissem­ent. C’est une règle qui existe aussi bien dans le public que dans le privé. » Il soupire. «Ce que je peux vous dire, c’est que ce genre de chose ne s’est jamais produit chez nous. Aucun élève n’a jamais été inquiété parce que ses parents avaient des difficulté­s financière­s. Nous avons une caisse de secours pour cela, des mécanismes d’entraide… Encore faut-il que les adultes répondent à nos courriers et viennent nous expliquer leur problème ! » Le responsabl­e ajoute que « l’exeat n’est pas indispensa­ble pour s’inscrire au lycée. » Ce qui est à la fois juridiquem­ent vrai et administra­tivement faux.

« Impensable ! »

Vrai, parce que la scolarisat­ion est un droit jusqu’à seize ans : l’Éducation nationale est tenue de lui trouver une place dans un lycée – avec ou sans exeat. Faux, parce que les établissem­ents scolaires n’acceptent pas les dossiers incomplets. Et que le certificat de radiation fait partie des pièces « obligatoir­es ». Claude Backes croit aussi savoir que «Monsieur C. ne s’est pas présenté en juin pour inscrire son fils à Audiberti. » Hubert Hougues, le proviseur du lycée, est nettement moins catégoriqu­e : « Nicolas était bien pré-inscrit chez nous. Mais si son dossier était incomplet en juin, il n’a pas été accepté. Dès lors, personne ne peut dire si son père s’est présenté ou pas. » Vue depuis l’Académie de Nice, l’affaire paraît plus simple : « Qu’un enfant de 15 ans ne soit pas scolarisé, c’est absolument impensable, tranche une porte-parole. Le fait que son père paye ou non ses créances est un autre problème. Nous allons prendre en charge ce dossier ; je vous garantis que ce garçon va trouver un établissem­ent public pour l’accueillir. » 1. Nous ne publions pas le patronyme de Lucien afin de préserver l’anonymat de son fils mineur.

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(Photo Sébastien Botella) La direction de Notre-Dame-de-la-Tramontane a refusé de délivrer le certificat de radiation requis pour l’inscriptio­n au lycée. Nicolas,  ans, n’est donc pas scolarisé.
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