Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Jean-Claude Mailly: «Il y a eu une vraie concertation»
Le patron de Force ouvrière n’a pas appelé à manifester. Nombre de ses militants seront pourtant dans la rue aujourd’hui. Il réitère néanmoins son analyse plutôt positive des ordonnances Travail
Il est l’homme qui tutoie Emmanuel Macron. Celui qui a changé son fusil d’épaule pour discuter avec le gouvernement sur les ordonnances Travail, alors qu’il avait bataillé contre la loi El Khomri. JeanClaude Mailly, le secrétaire général de Force ouvrière, se retrouve du coup contesté en interne. Si la direction de FO n’a pas appelé à manifester aujourd’hui, plusieurs fédérations et une bonne moitié des unions départementales du syndicat seront dans la rue au côté de la CGT. Jean-Claude Mailly, qui prendra part, jeudi, à l’assemblée générale de FO 06 à Nice, défend malgré tout le bien-fondé de sa stratégie.
FO n’appelle pas à manifester contre les ordonnances Travail aujourd’hui. Mais beaucoup de vos militants seront quand même dans la rue. Vous sentez-vous désavoué ? Non. Le bureau confédéral avait dit qu’il ne souhaitait pas de manifestation le septembre. Maintenant, FO est l’organisation syndicale la plus décentralisée. Nous ne travaillons pas comme une entreprise avec un P.-D.G. qui donne une consigne. Nos camarades ont toujours gardé leur liberté. Les débats sont par tradition très nourris chez nous et il arrive aussi que nous appelions à manifester et que certains de nos militants ne le fassent pas. Je ne suis donc pas inquiet.
Pour vous, cette loi ne remet pas en cause notre modèle social. Mais certains pensent au contraire qu’elle va précariser les salariés et que vous n’en mesurez pas les conséquences… Si, nous en mesurons parfaitement les conséquences pour les salariés, puisque nous avons discuté pendant trois mois sans interruption avec les pouvoirs publics. Dans l’analyse que nous faisons aujourd’hui des ordonnances, il y a des choses que nous avons obtenues. J’en citerai trois : on est parti d’un schéma qui tuait la branche, dans la poursuite de la loi El Khomri, et on a réussi à la préserver. Avant, il y avait six thèmes de négociation obligatoire, il y en aura désormais onze. Ensuite, on a obtenu une augmentation de % de l’indemnité légale de licenciement, même si on aurait souhaité encore plus ( %). Cela va concerner un million de personnes par an. Troisièmement, on va retrouver la liberté de désigner le délégué syndical, une revendication de FO qui datait de . Il reste toutefois des points d’insatisfaction… Il y a des choses que nous avons, au moins, réussi à bloquer : que les entreprises puissent continuer à déclencher des PSE (plans de sauvegarde de l’emploi) à partir de dix salariés, alors que le gouvernement voulait faire passer le seuil à trente salariés. Le patronat espérait par ailleurs pouvoir négocier sans syndicat jusqu’à trois cents employés, on a obtenu que la limite reste à cinquante, soit le statu quo. Le gouvernement voulait aussi fortement réduire les délais de recours aux prud’hommes. On a obtenu le maintien de trois ans en matière de salaire, le délai pour un licenciement étant uniformisé de deux à un an, au lieu de six mois évoqués au départ.
Sur quoi restez-vous en total désaccord ? Tout ce qui tourne autour des prud’hommes, les dommagesintérêts, le plancher, le plafond. Le droit à l’erreur aussi, qu’on peut comprendre sur la forme, mais pas sur le fait qu’il puisse concerner le motif d’un licenciement. Le périmètre national pour évaluer les difficultés des multinationales également, dont on n’est pas sûr qu’il ne sera pas utilisé par certains pour asphyxier volontairement un site dont ils voudront se débarrasser. Il reste donc une série de points que je considère inacceptables, je l’ai dit depuis le début. Nous reconnaissons simplement, au bureau confédéral de FO, que pendant trois mois nous avons pu discuter et faire bouger des lignes. Cela étant, nous avons la conviction que les choses sont maintenant figées, sauf si le Conseil d’Etat vient à considérer que certaines dispositions ne sont pas conformes à la Constitution. Même une mobilisation sociale massive ne pourra plus changer la donne à vos yeux ? S’il y a des millions de personnes dans la rue pendant plusieurs jours, oui, peut-être. Mais je ne sens pas ça. Il y a la mobilisation syndicale de ce mardi, mais aussi celle du [des Insoumis, ndlr]. Mais celle-ci est purement politique, ce n’est déjà plus le même registre.
Vous aviez combattu la loi El Khomri. En quoi celle proposée aujourd’hui est-elle différente ? Au-delà de la méthode, qui n’a pas fonctionné, l’un des points clés de la loi El Khomri, dont nous demandons toujours l’abrogation, est que, sur la question du temps de travail, la branche n’existe plus. On passe directement du Code du travail à l’entreprise. C’est ce que j’avais appelé l’inversion de la hiérarchie des normes. Nous n’en voulions pas et nous ne voulions pas que cette règle s’étende aux autres domaines du Code du travail, aux salaires notamment. Or, cette fois-ci, nous avons au contraire consolidé la branche, qui est le pilier de ce que j’appelle la République sociale, assurant un minimum d’égalité des droits entre les salariés. Il n’y a pas eu d’extension de la loi El Khomri à d’autres thèmes que celui du temps de travail et c’est à mettre à l’actif du combat que nous avons mené.
Les prochaines réformes à venir seront celles de l’assurancechômage, de la formation et des retraites. Qu’en espérez-vous ? Sur l’assurance-chômage, les confédérations syndicales et le patronat ont des positions communes. Nous ne sommes plus cogestionnaires de l’assurance-chômage, puisque c’est désormais du ressort de Pôle emploi, mais nous fixons encore le niveau des cotisations et des prestations. Et nous tenons à conserver ce rôle, parce que nous craignons un régime a minima pour tout le monde (indépendants, démissionnaires, salariés) qui serait un régime à l’anglo-saxonne : le même pour tout le monde, mais à un niveau bas, chacun ayant ensuite la charge de s’assurer comme il l’entend ou comme il le peut. Nous tenons donc à continuer à fixer les critères, à savoir le niveau des cotisations et prestations. On ne laissera pas faire n’importe quoi sur ce sujet. Concernant la formation professionnelle, il va d’abord falloir éclaircir les choses car on entend dire tout et n’importe quoi. Notamment qu’il existerait un pactole de milliards cogéré par les syndicats et le patronat, alors qu’en gestion paritaire, cela tourne uniquement autour de à milliards, auxquels s’ajoutent les apports des entreprises, de l’Etat, des Régions. En revanche, s’il y a une certitude, c’est qu’il existe beaucoup trop d’organismes de formation professionnelle, de qualité diverse, et qu’il faut faire un peu de ménage là-dedans. Nous avons, en outre, pour revendication la création d’un statut de l’apprenti. Sur les retraites enfin, on entend parler de compte notionnel [qui accentue la corrélation entre ce que verse un salarié et ce qu’il perçoit comme retraite, ndlr] qui n’a pas marché ailleurs et qui nous fait craindre, là encore, un système a minima débouchant sur la mise en place de fonds de pension, que nous ne voulons pas.
Voyez-vous en Macron un Président capable d’installer une culture de la négociation ? En tous les cas, sur ce premier dossier lié au Code du travail, je constate, même s’il y a beaucoup de points de désaccord, qu’il y a eu une vraie concertation, qui n’avait pas eu lieu l’an dernier. Cela veut dire qu’on a été écouté et entendu, du moins sur certains points qu’on a pu faire évoluer. C’est mieux que de passer en force.
Le syndicalisme sous sa forme actuelle est-il voué à s’éteindre ? Non, il va continuer. FO est une organisation réformiste. Fondamentalement, on croit à la pratique de la négociation collective. Nous ne sommes pas pour la loi systématiquement. L’enjeu, pour les syndicats, est leur développement et une présence plus importante, tant dans l’administration que dans les entreprises. Mais je ne vois pas de changement majeur dans leur rôle à l’avenir, tant qu’il y aura des salariés ayant besoin d’eux.
La branche est le pilier de la République sociale.”