Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Harald Hübner voyageur extraordin­aire

Ce routard excentriqu­e, enfant de l’Allemagne de l’Est, sillonnait le continent à vélo quand son périple s’est brutalemen­t interrompu dans le Var. Un gendarme des Issambres l’a remis en selle…

- ERIC MARMOTTANS emarmottan­s@nicematin.fr

À Roquebrune-sur-Argens, l’été s’achève sur une belle histoire. L’adjudant Sébastien Puccini, de la brigade nautique des Issambres, s’interroge encore sur la nature des forces qui veillent sur Harald Hübner, un voyageur atypique. « Il se peut que ce 24 juillet, un ange gardien soit passé dans le ciel sambracita­in… », glisse le gendarme sans s’avouer qu’il a lui-même tenu ce rôle. Ce samedi-là, le militaire remarque un engin bizarre, adossé au mur d’un hôtel du bord de mer. Il s’agit d’un vélo bardé de sacoches et de sacs en plastique. Et flanqué d’un mât en PVC faisant flotter un drapeau européen. À première vue, ce bric-à-brac roulant «semble appartenir à un sans domicile », songe l’adjudant. Harald Hübner, 66 ans, trimballe sa vie au guidon de ce deux-roues bricolé. Ce retraité allemand se déplace à travers le continent avec des cartes routières, un kit d’urgence pour diabétique, une couverture, des bouteilles isothermes, du chocolat… Le routard à la chasuble jaune fluo ne s’impose aucun délai entre deux étapes, et a pris l’habitude de dormir à la belle étoile. Casquette vissée sur la tête, il est parti au printemps d’Eisenach, sa ville d’origine, dans l’ancienne Allemagne de l’Est. Là-bas, les longs voyages à vélo de Harald Hübner ont fait de lui une figure locale. Ailleurs, ses allures de vagabond lui valent d’être parfois « traité comme un lépreux», rapportent nos confrères du Thüringer Allgemeine.

Une dizaine de pays parcourus cette année

Avant de s’échouer sur la Côte d’Azur, Harald Hübner aurait déjà papillonné dans une dizaine de pays, parcourant quelque 6 500 kilomètres en quelques mois. Autriche, Hongrie, Roumanie, Serbie, Bosnie, Croatie, Slovénie, Italie, Monaco… Mais dans la soirée du samedi 24 juillet, le globe-trotter hirsute se présente dans un restaurant de plage aux Issambres. Il est à la recherche de sa fidèle monture. En vain, alors que le vélo se trouve à deux cents mètres de là. At-il

été trahi par sa mémoire ? Victime d’une mauvaise blague ? Harald Hübner finit par croire que sa « petite reine » surchargée a été volée. C’est le coup d’arrêt à son odyssée. Le routard allemand quitte tant bien que mal le Var, par le train, avec pour seuls bagages les souvenirs des paysages traversés et des personnes rencontrée­s. Le retour prématuré de Harald Hübner à Eisenach suscite quelques gestes de solidarité: on lui offre un antivol. Fin de l’histoire ? Aux Issambres, l’adjudant Puccini s’inquiète. Le vélo qui avait attiré son attention n’a pas bougé depuis 48 heures. «Son propriétai­re était peut-être mort quelque part. » Les gendarmes ouvrent «une enquête environnan­te ». L’hypothèse d’une disparitio­n inquiétant­e est rapidement écartée quand les militaires apprennent que le cycliste, «un drôle d’individu » qui ne parle ni français ni anglais, s’était manifesté au restaurant de plage. Le signalemen­t diffusé dans les services s’avère payant : « Un Allemand, de type SDF, s’est bien présenté à la gendarmeri­e de Sainte-Maxime pour signaler le vol de son vélo, mais sans laisser de moyen pour le recontacte­r. » Sébastien Puccini poursuit ses recherches malgré la levée de doute autour de l’objet trouvé. « L’humain a pris le dessus sur le gendarme, je me suis dit qu’il fallait rendre ce vélo à son propriétai­re, s’il s’agissait d’un SDF il devait lui manquer d’autant plus… »

Un nouveau départ depuis les Issambres

Le militaire des Issambres dispose des indices trouvés dans les sacoches du vélo, et pourra compter sur une épouse germanopho­ne. « Nous avons écrit à la mairie d’Eisenach. » Sans réponse. L’ambassade d’Allemagne est sollicitée. « Banco, le 23 août, le consulat nous signale qu’il a retrouvé un article de presse dans lequel il est mentionné que M. Hübner est rentré chez lui.» Une semaine plus tard, le sexagénair­e saute dans un train avec des tablettes de chocolat à offrir aux gendarmes. « Il n’en croyait pas ses yeux, tout était là, intact, il en a été bouleversé », témoigne Sébastien Puccini. Le retraité, célibatair­e et sans enfant, échange avec les gendarmes (avec Mme Puccini dans le rôle de l’interprète). « Depuis douze ans, il part chaque année pendant trois à quatre mois pour découvrir l’Europe, rapporte l’adjudant. Il ne parle que l’allemand et le russe [hérité des années RDA]. Il dispose d’une petite retraite de 800 euros – après avoir travaillé dans une usine Opel –, et s’autorise un budget quotidien de 10 euros pour manger, il profite d’une liberté qu’il n’a pu connaître avant la chute du mur de Berlin. » Ce matin-là, M. Hübner a savamment rééquilibr­é l’attelage de son vélo. Et s’est élancé vers de nouvelles découverte­s.

Un personnage qui mérite d’être rencontré ”

Avec dix euros par jour, il profite de sa liberté ”

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France