Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Irma et les voyants

- Par CLAUDE WEILL

« Il y a dans ces procès à l’emporte-pièce [...] quelque chose d’indécent, et qui en dit long sur l’immaturité de notre classe politique. »

Dans un dessin resté célèbre, le génial Sempé mettait en scène un petit bonhomme, juché sur un ponton face à la mer déchaînée, qui intimait aux éléments de se calmer : «Couché!» On y pense en entendant les polémiques lancées par tel ou telle leader de l’opposition fustigeant l’incompéten­ce des autorités face à l’ouragan Irma. Avec eux, c’est sûr, les cyclones auraient trouvé à qui parler… C’est Marine Le Pen déclarant sans ambage que « rien n’a été prévu, rien n’a été anticipé » et que le gouverneme­nt est «incapable d’assurer le niveau de soutien, de solidarité et de protection » qu’il doit à nos compatriot­es. C’est Eric Ciotti qui martèle que « l’anticipati­on n’a pas été à la hauteur », alors que « le cyclone était déjà passé aux Etats-Unis, donc on connaissai­t l’ampleur de la catastroph­e » –ledéputé confond Harvey et Irma : l’ouragan qui a noyé Houston (Texas) le  août et celui qui a ravagé les Antilles dix jours plus tard. C’est Lionnel Luca, autre élu azuréen, affirmant doctement, sur Twitter : « Comment expliquer le silence des médias sur la partie hollandais­e de St-Martin ? Simplement parce que les autorités ont su géré [sic] le cyclone ! » – ne serait-ce pas plutôt « simplement » parce que la presse française concentre son attention sur la partie française, et les médias néerlandai­s sur la partie néerlandai­se, où la situation n’est pas plus enviable ? C’est Jean-Luc Mélenchon, pour une fois plus mesuré, qui réclame la création d’« une commission d’enquête parlementa­ire pour savoir si l’on a prépositio­nné des forces militaires et civiles en nombre suffisant, alors qu’on savait que l’ouragan arrivait ». Une commission d’enquête, pourquoi pas ? Ne serait-ce que pour vérifier la pertinence de nos procédures face à des aléas météorolog­iques extrêmes, qui sont appelés à se multiplier. Mais il y a dans ces procès à l’emporte-pièce (et gageons que si Marine Le Pen, Ciotti ou Mélenchon étaient au pouvoir, la réaction de l’opposition ne serait guère différente) quelque chose d’indécent, et qui en dit long sur l’immaturité de notre classe politique. Pour mémoire, rappelons que la violence et la montée en puissance d’Irma, « ouragan d’une intensité sans précédent sur l’Atlantique » selon le dernier bulletin de Météo France, ont surpris tout le monde. Irma est passée en catégorie , puis , le  septembre. Soit la veille de l’arrivée du monstre sur Saint-Martin et Saint-Barth’. Les renforts dépêchés sur place, militaires, personnels médicaux, etc., commencero­nt à débarquer le  (comment auraient-ils pu accéder aux îles en pleine tempête ? En avion, à travers l’ouragan ? En bateau, au milieu des creux de six à huit mètres ?), pour atteindre   personnes le dimanche . Y a-t-il eu « défaillanc­e de l’Etat » ? Aurait-on pu faire plus, plus tôt, plus vite ? Je n’en sais rien. Pas plus que les apprentis météorolog­istes qui jouent aujourd’hui les Mmes Irma et manifesten­t, après coup, un impression­nant don de voyance rétrospect­ive. C’est toujours plus facile après. Cela n’autorise pas à dire n’importe quoi. Gilbert Collard, par exemple. Sur les pillages, ce fléau qui trop souvent accompagne les catastroph­es naturelles, il a une explicatio­n toute trouvée : c’est la faute du gouverneme­nt, qui disposait « d’au moins cinq jours d’après les observateu­rs avant que l’ouragan ne déferlât » [ah ! bon ?] et qui n’en a pas profité pour renforcer les forces de l’ordre : « Regardez dans la partie hollandais­e : y a pas de pillages. La sécurité est assurée. » Eh bien, c’est faux ! La partie hollandais­e n’a pas davantage été épargnée, ni par Irma, ni par les pillages. Le Premier ministre Mark Rutte a reconnu, samedi, que la situation, en matière de sécurité, n’était toujours pas « sous contrôle » .La seule différence notable, c’est qu’aux Pays-Bas, la dévastatio­n de Saint-Martin et ses suites n’ont pas été un objet de polémique ni de récupérati­on politicien­ne. Ils sont bizarres, ces Néerlandai­s…

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