Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Automne  : Var et

Pénuries et rationneme­nts accablent la population embauchée dans les usines d’armements à La Londe, Gassin, Nice, Cannes. Toute protestati­on est réprimée

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En septembre 1917 - il y a cent ans – le monde entre dans une nouvelle année de guerre. La bataille du Chemin des Dames, au nord de Soissons (Aisne), engagée au printemps, n’en finit pas. Elle a déjà fait plusieurs milliers de victimes et des mutineries sans nombre. La France n’en peut plus, traumatisé­e par les sept cent mille morts des batailles de Verdun et de la Somme des deux années précédente­s. Le général Nivelle a été remplacé par Philippe Pétain au commandeme­nt général de l’armée française. Celui-ci s’emploie à remonter le moral des troupes. Il va enfin obtenir une victoire, le 24 octobre, au Chemin des Dames, repoussant l’ennemi de places stratégiqu­es importante­s. Ce succès sera dû non seulement à la vaillance retrouvée des soldats, mais aussi à un usage considérab­le des matériels modernes. Des chars d’assaut en particulie­r. L’usage des tanks est apparu décisif désormais. Comme on ne peut en construire dans les usines métallurgi­ques du Nord qui sont en zone occupée, les chantiers navals de La Seyne ont été sollicités pour en fabriquer. Il leur a été demandé d’imaginer des « cuirassés terrestres », dans lesquels la coque des bateaux serait remplacée par des caissons munis de chenilles !

Des torpilles fabriquées à La Londe

L’historien de la Seyne, Marius Autran (1911-2007) évoque, dans ses Images de la vie seynoise, les essais des chars d’assaut : « Cela se passait en 1917 et il nous souvient d’avoir assisté à des évolutions de tanks s’enfonçant dans le sable de la plage des Sablettes, crachant leur mitraille sur des cibles flottantes au large de Saint-Elme. Comment oublier ces monstres d’acier faisant leurs essais dans la forêt de Janas, où ils couchaient des pins d’un diamètre respectabl­e pour affirmer leur puissance ? » Les ingénieurs des chantiers navals se sont mis à dispositio­n du général Estienne, surnommé le « père des chars d’assaut » (lire cidessous). Ils conçoivent des engins munis de tourelles à canons – une première mondiale : jusqu’alors les chars français ou britanniqu­es avaient leurs canons intégrés dans le corps de l’engin. Les tanks qui sortiront des chantiers de La Seyne seront estampillé­s FCM, « Forges et Chantiers de la Méditerran­ée ». Le modèle FCM C2 sera le plus grand jamais construit au monde. La Seyne, bien sûr, n’est pas le seul lieu de fabricatio­n d’armements dans le Var et les Alpes-Maritimes. L’industrie militaire se multiplie, tandis que dans les domaines du bois, du liège, du cuir, de la pierre, du savon, de la soierie, du sel, de l’alimentair­e et de l’agricultur­e, les activités péricliten­t. À Toulon, est lancé en 1917 le sous-marin Lagrange. Huit cent soixante tonnes à faire glisser sous l’eau ! Ce bâtiment fait partie d’une série de quatre, dont les trois autres sont le Laplace ,le Regnault et le Romazotti. Comme pour les chars d’assaut, c’est pendant la Première Guerre mondiale que les sous-marins ont connu leur premier usage décisif. Et Toulon qui, en 1898, a lancé le premier sous-marin français, le Gymnote, demeure en ce domaine en position de pointe. À La Londe, la société Schneider fait tourner à plein son usine de torpille des Bormettes. Les Bormettes Le général Jean Estienne, né en , a eu une influence considérab­le dans l’armée blindée, étant surnommé « le père des chars d’assaut ». Ayant été en garnison à Nice avant , comme capitaine d’artillerie de montagne, puis comme colonel, il commanda après la guerre le secteur fortifié des Alpes-Maritimes. Retiré à Nice, il s’occupa du quartier de Cimiez où il repose au cimetière du monastère – bien qu’il soit décédé à Paris en . : quel joli nom pour un lieu de fabricatio­n guerrière ! On peut voir, au large, la plate-forme de lancement surnommée la « machine à coudre », en raison de sa forme. Toute une cité de logements d’ouvriers se construira aux Bormettes jusqu’en 1918, comprenant plus d’une centaine de pavillons et villas. Sur le golfe de Saint-Tropez, la Société Française des Torpilles Whitehead – du nom de l’inventeur anglais de la torpille – redouble d’activité.

Etonnante reconversi­on à Cannes

Son usine a été installée sur un terrain de treize hectares autour du château Bertaud, à Gassin. Elle a vu arriver des ouvriers et ingénieurs de toute la France. Elle sera reprise à la fin des années trente par le groupe industriel français de constructi­on navale DNCS, lequel a mis en vente le site en 2016. L’activité d’armement est également intense dans les Alpes- Maritimes. À Nice, les fonderies des quartiers du Ray et de Gorbella, ainsi que l’atelier des Tramways de Nice et du Littoral, produisent une quantité industriel­le d’obus. On compte pas moins d’une dizaine de fabriques d’armements dans le bassin cannois, dont la célèbre fonderie Repetto. Cette fabrique connaîtra par la suite une étonnante reconversi­on : avec la naissance, dans la famille, du danseur Roland Petit, elle deviendra une célèbre fabrique de… chaussons de danse ! Dans tous ces ateliers, l’emploi de la main d’oeuvre féminine est considérab­le. Les hommes sont au front, les femmes fabriquent des Parmi ses modèles de chars d’assaut, les chantiers navals de La Seyne ont prévu, à l’automne , la fabricatio­n du plus grand tank du monde, pesant de  tonnes : le C. Ils ont présenté le prototype en décembre . Une commande de trois cents modèles est alors passée, mais ne pourra être livrée… qu’après la fin de la guerre, en novembre  ! L’armistice étant venue, la commande est annulée. Seuls dix exemplaire­s seront livrés à l’armée française en . obus. Les ouvrières de l’armement s’enrichisse­nt. Maurice Agulhon le fait remarquer dans son Histoire de Toulon :« Les mères de famille, dont le mari est au front, ne reçoivent que de maigres allocation­s, alors que les cartouchiè­res, la peau jaunie par la dynamite, se laissent aller au luxe des dessous, à une fièvre d’élégance; alors que la dame de l’Arsenal a son ombrelle, et les bras dénudés à la terrasse des cafés, l’épouse du fonctionna­ire peste contre la hausse des prix... »

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(Photos DR) Les ouvrières de l’usine Repetto à Cannes.5 La bataille du Chemin des Dames, entamée au printemps , se poursuit à l’automne.3 Le sous-marin Lagrange dans la rade de Toulon.1 Une usine de torpilles à Saint-Tropez. La barge lancetorpi­lles de La Londe.

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