Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
À Fréjus, les avis divergent
La démission de Florian Philippot du Front national n’occupait guère de conversations hier à Fréjus. Néanmoins, les personnes rencontrées dans la ville du sénateur maire David Rachline ont bien voulu commenter cet épisode politique. « Il doit y avoir un malaise dans ce parti difficile à comprendre. Mais ça reste le deuxième parti de France », remarque Ange, 82 ans, électeur de Jean-Luc Mélenchon. Il souligne «à droite comme chez les socialistes il y a aussi des divisions. » Pour Anthony, « c’est un parti qui divise les gens et qui est divisé. Je pense qu’il va couler. Cette démission va fragiliser Marine Le Pen. Philippot a un électorat derrière lui, surtout pour les questions sociales. Là, il ne va rester que les fachos purs et durs. »
L’avenir c’est Marion
À la terrasse d’un café, Alain et Arlette, 57 ans de mariage, grattent des cartes de jeu. « C’est personnel entre elle et lui, cela ne devrait pas nous concerner, selon Arlette. C’était une équipe. Il était son bras droit mais il voulait rester à sa place sans rien faire ». Son époux estime que «Marine Le Pen a perdu son parti. Avec elle, ça n’ira pas. » Antoine, retraité et électeur frontiste, juge que « Marine Le Pen a commis une grosse erreur en voulant sortir de l’euro. Elle le paye et Philippot aussi. C’est un parti qui va faire comme la droite et le PS, qui va exploser. Celui qui commence à se frotter les mains c’est Mélenchon, ça m’inquiète beaucoup » regrette-t-il. Et d’ajouter « Philippot est l’un des plus intelligents, il a bien fait de quitter le FN, qui est très mal. Le clan Le Pen est toujours là et Marine toujours sous l’influence de son père que les Français n’aiment pas. Je ne voterai plus... » Enzo, militant du FN est au contraire ravi : « Je n’étais pas pour ce monsieur. Il a mis la zizanie entre le père et la fille, a demandé qu’on change de nom, de logo, il a mis la pagaille dans le parti, a voulu mettre la main dessus. Alors bon vent ! C’est en faisant le ménage qu’on travaille bien ensuite. Tout va bien, le parti existe et va bien. Il y a eu d’autres départs au FN. Les militants resteront. Marion va revenir, je l’espère. C’est elle l’avenir. » « Le FN va enfin connaître l’apaisement face à un extrémiste sectaire, arrogant et vaniteux » : c’est en ces termes choisis que Louis Aliot, compagnon de Marine Le Pen, a pris acte de la démission de Florian Philippot. Tandis que Marine Le Pen, faussement désolée, tenait déjà « Florian » pour « politiquement fini ». On n’est pas plus aimable. À se demander comment ils ont pu travailler tant d’années ensemble. Cette violence verbale n’est pas pour surprendre. Elle est dans la culture de la maison. Pas surprenant non plus qu’après la défaite sonne l’heure des règlements de comptes. Entre sociaux-souverainistes et libéraux-identitaires, les désaccords étaient insurmontables. Le chantier de la « refondation » débouche sur une démolition. Un schisme de plus dans une « famille » qui en a tant connus. Et maintenant, « l’apaisement » ? C’est ce que veulent croire les proches de la présidente. Mais venant après une contre-performance électorale qui a jeté le doute sur son aptitude à accéder jamais au pouvoir, cette crise vient entamer encore un peu plus l’autorité de Marine Le Pen. Déjà, à la droite du parti, certains lorgnent du côté de Marion Maréchal-Le Pen. Et si c’était elle? Car les haussements d’épaules ne peuvent dissimuler la réalité : le départ de celui qui fut le bras droit et l’inspirateur de Marine Le Pen constitue bien, pour elle et son parti, un séisme majeur. Pa seulement parce que l’effondrement du pilier gauche vient déséquilibrer un édifice justement conçu pour reposer sur deux pieds. Mais parce que la mise à l’écart du « cerveau » du marinisme laisse un vide doctrinal et stratégique difficile à combler. Haï par Jean-Marie Le Pen et les tenants de la tradition frontiste, libérale et identitaire, Philippot est à la droite radicale ce que l’ornithorynque est au règne animal : un être hybride. Chevènementiste d’origine, gaulliste de coeur, il se définit comme « national-républicain ». Son projet, combinant social-étatisme à l’intérieur et souverainisme à l’extérieur, visait à réunir un front ni gauche-ni droite autour du rejet du libre-échangisme, de l’Europe et de la mondialisation. Le logiciel n’a pas si mal fonctionné. Il a aidé Marine à liquider l’encombrant héritage de Jean-Marie. Et le Front national lui doit son ascension dans les années et sa spectaculaire progression dans les milieux populaires. Mais le programme contenait un gros bug : la question de la sortie de l’euro, dont Philippot a fait un point de dogme, alors que l’opération est techniquement quasi-irréalisable et politiquement invendable. À toute défaite, il faut un responsable. Cet « extrémiste » de Philippot, avec son fichu euro, fait un bouc émissaire idéal. Cela dispense de s’interroger plus avant sur les causes de l’échec de Marine Le Pen, qui ne tiennent pas seulement aux failles affichées par la candidate lors du débat entre les deux tours, mais aussi, la présidentielle l’a confirmé, au fait que le FN n’est toujours pas, aux yeux des Français, un parti « comme les autres ». « Déphilippotisé », et même rebaptisé, un FN à droite toute, réconcilié avec le libéralisme et recentré sur ses fondamentaux (immigration et insécurité) aurait-il vocation à devenir majoritaire? Ou ne serait-il qu’une variante réactualisée du FN de papa? À force de virer à droite, il arrive qu’on tourne en rond.