Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Philippe Besson: «Macron a toujours un coup d’avance»

L’écrivain a suivi le futur Président durant les huit mois de sa campagne. Il a vu à l’oeuvre un esprit brillant qui, entre sang-froid avéré et sensibilit­é contenue, conserve une large part de son mystère

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

Le dix-neuvième livre de Philippe Besson n’est pas un roman. L’auteur de Arrête avec tes mensonges, où il exhumait ses émois adolescent­s pour un camarade lycéen, nous livre cette fois le récit de l’épopée électorale victorieus­e d’Emmanuel Macron, dont il a emboîté le pas de septembre 2016 à mai 2017. Journal de campagne plus que plongée dans l’intimité du Président, Un personnage de roman vient le confirmer : la carapace du chef de l’Etat s’avère bien difficile à percer.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vivre cette campagne auprès d’Emmanuel Macron ? L’écrivain que je suis a été intrigué par ce personnage qui cherche à s’inventer un destin, qui s’engouffre dans le vent de l’histoire et essaie lui-même de l’écrire. L’aventure qu’il a tentée paraissait a priori vouée à l’échec, et pourtant il s’y est engagé avec énergie et déterminat­ion. Il y a quelque chose de romanesque dans cette aventure. L’autre aspect qui m’intéressai­t aussi était de m’inscrire dans une tradition française qui veut que les écrivains manifesten­t de l’intérêt pour la politique et la conquête du pouvoir.

Il contrôle beaucoup son image, vous a-t-il imposé des conditions ? Non, aucune condition. C’est moi qui en ai posé une en lui demandant de ne pas faire de contrôle a posteriori de ce que j’allais écrire et il s’y est tenu puisqu’il n’a sollicité aucune relecture du texte. Pendant la campagne, j’ai eu accès autant que je le voulais aussi bien à sa personne qu’à son QG. J’avais livre ouvert et c’était assez impression­nant d’être ainsi au coeur du réacteur et de voir l’envers du décor.

Monstre froid, grand romantique qui se protège ? Etes-vous parvenu à cerner le personnage, au final ? Je pense que c’est quelqu’un qui a un vrai sang-froid, une vraie impassibil­ité, une capacité à tenir bon dans les turbulence­s. J’ai été frappé par cette égalité d’humeur durant une campagne qui a quand même été très violente. Il n’a jamais cédé ni à l’euphorie ni au découragem­ent. Mais j’ai par ailleurs découvert quelqu’un qui peut se montrer ému lorsqu’il évoque sa grand-mère Manette, celle qui a forgé son éducation et son caractère, une disparue à laquelle il pense régulièrem­ent. Je l’ai vu également très sensible lorsqu’on s’attaque à sa femme ou à sa famille. A la fin, ce qui est rassurant de mon point de vue, il demeure chez lui une part d’ambiguïté, d’opacité, qui est peut-être le signe des grands hommes qui ne se révèlent jamais tout à fait à vous et gardent un peu de mystère. Lui-même a théorisé cette forme de verticalit­é et de mystère. Il y a sûrement des choses que je n’ai pas comprises à son sujet. Et tant mieux !

Vous évoquez son côté mitterrand­ien, les manuscrits qu’il a rédigés sans les publier. Est-il donc plus romanesque, plus littéraire que politique ? C’est un homme pétri de culture, qui a beaucoup lu, qui a des références philosophi­ques et littéraire­s assez amples. Il aime Stendhal, René Char, André Gide, Romain Gary. Il s’est aussi nourri de culture historique et on voit bien qu’il cherche à s’inscrire dans une grande geste de l’histoire qui puise ses racines bien au-delà de la Ve République, bien plus loin que la Révolution, qui remonte aux monarques et aux empereurs. Je ne sais pas s’il y parviendra, c’est autre chose, mais c’est dans ce sillage-là qu’il souhaite s’inscrire. A dix-huit ans, il ne se rêvait cependant ni ministre ni Président, il se rêvait écrivain. Il a écrit des textes qui ont été lus par son épouse. Ce goût pour le mot et la parole, il a cherché à le démontrer durant la campagne en écrivant pour beaucoup ses discours lui-même. Lorsqu’elle le rencontre pour la première fois au lycée, la fille de Brigitte dit à sa mère qu’elle a vu « une espèce de fou, qui sait tout sur tout ». Ce sentiment d’être omniscient, n’est-ce pas justement son talon d’Achille ? Il a une vivacité d’esprit qui peut s’avérer désarmante. Vous avez souvent l’impression qu’il répond à la question que vous ne lui avez pas posée mais que vous alliez lui poser. Il a toujours un coup d’avance et, comme il possède une mémoire phénoménal­e, il n’oublie rien. Il a entassé une somme de connaissan­ces assez impression­nante et il peut se révéler déstabilis­ant. C’est à la fois fascinant et agaçant. Vous connaissie­z le risque au départ. Avez-vous échappé au syndrome Tchakaloff, cette écrivaine tombée sous le charme (intellectu­el) d’Alain Juppé en le suivant ? Je n’ai pas cherché à me comporter en journalist­e. Je n’en suis pas un. J’ai cherché à me comporter en écrivain, c’est-àdire à raconter quelque chose qui relevait de l’épopée, en tout cas de l’improbable, et à dresser un portrait intime, un portrait à hauteur d’homme. Cela exigeait forcément de la subjectivi­té, je me fichais de l’objectivit­é, ce n’était pas mon propos. La subjectivi­té impose d’être en empathie, en proximité, parfois fasciné, mais aussi agacé, lassé, de comprendre les manipulati­ons. Je ne me suis jamais posé la question de la bonne distance. J’avais envie d’être ou trop près ou trop loin, pour avoir un regard le plus sensible possible.

Les premières critiques sur votre livre ont été plutôt dures, vous reprochant notamment d’avoir été trop hagiograph­ique… La critique est libre. D’autres trouvent au contraire que j’ai été très dur avec Emmanuel Macron en le dépeignant comme un monstre froid. J’ai l’impression que les critiques en disent plus long sur ceux qui les expriment que sur mon livre. Certains journalist­es sont peut-être irrités qu’il ne leur parle pas mais qu’il se soit adressé à un écrivain. Je n’ai pas écrit ce livre pour complaire à quelques journalist­es parisiens et mondains, aux cachetonne­urs de la critique, aux assis. Pour être franc, leur opinion m’importe très peu… Dans votre livre, transpire en tout cas une vraie tendresse pour Brigitte Macron… Absolument. Elle m’a intéressé à plusieurs titres. D’abord parce qu’elle a été le capteur des humeurs françaises, c’est à elle que les gens s’adressaien­t dans les déplacemen­ts pour exprimer leurs frustratio­ns et leurs espérances. Elle a saisi ces humeurs et les a relayées à son mari pour qu’il en tienne compte. C’est donc elle qui a sans doute le mieux appréhendé le réel. Les femmes ont aussi admiré chez elle deux choses très contradict­oires : soit son côté transgress­if, soit son élégance incarnant la tradition bourgeoise française. J’ai enfin de la sympathie pour elle parce qu’elle a été attaquée. Il y a eu un déferlemen­t de misogynie assez terrible à son encontre. Elle a été attaquée sur son physique, sur son âge et ses vingt-quatre ans d’écart avec Emmanuel Macron. Un journalist­e a même expliqué que Macron était gérontophi­le. Cela en dit long sur les résidus de machisme dans notre société.

Emmanuel Macron vous surprend-il dans sa façon de gouverner depuis mai ? Non, dans la mesure où il fait ce qu’il avait théorisé. Il avait dit que la parole présidenti­elle serait rare, je n’ai donc pas été surpris qu’il parle très peu, puisqu’il avait expliqué qu’il voulait de la verticalit­é, pas d’une présidence anecdotiqu­e où l’on envoie des SMS quinze fois par jour à cinquante journalist­es. Par ailleurs, les mesures qu’il a prises, qu’on soit d’accord avec ou pas, étaient inscrites dans son programme. Il fait ce pour quoi il a été élu.

Comment expliquez-vous le début de désamour des Français à son égard ? Peut-être est-on passé trop vite de l’hyperprése­nce médiatique de la campagne à une absence d’expression publique. Il aurait sans doute fallu un sas de décompress­ion. Je crois que les Français ont envie qu’on leur parle et ils manifesten­t à son endroit de l’impatience et une forme de frustratio­n. Il doit renouer le dialogue avec eux. Sa campagne a été portée par un élan, l’optimisme, la promesse du lendemain. Ensuite, on retombe forcément dans le réel qui est souvent brutal. Quand vous annoncez que les APL vont baisser de  euros, le réel frappe dans toute sa brutalité, un hiatus surgit. Une dernière explicatio­n tient à ce que nous sommes, nous Français : on élit un Président pour cinq ans et on le juge au bout de quatre mois. Il faudrait que nous apprenions à être un peu plus patients.

A la fois fascinant et agaçant” Brigitte a été le capteur des humeurs françaises”

Votre prochain ouvrage ? J’ai commencé l’écriture d’un nouveau livre qui ne sera en rien consacré à la politique. Je reviens à l’écriture romanesque pure, mais je ne vous dirai pas sur quel sujet.

1. Editions Julliard, 260 pages, 18 euros.

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(Photo Maxime Reychman) Philippe Besson retrace huit mois de campagne dans les pas de Macron dans Un personnage de roman.

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