Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

«Chirac, c’est un homme prisonnier de son destin»

Président, la nuit vient de tomber, le livre du journalist­e Arnaud Ardouin revient, à travers les confidence­s de proches de Jacques Chirac, sur le parcours d’un président en fin de vie

- PROPOS RECUEILLIS PAR K.M. kmichel@nicematin.fr Président, la nuit vient de tomber, d’Arnaud Ardouin, 192 pages. Le Cherche Midi éditions.

Un livre parfois arrive au bon moment. Président, la nuit vient de tomber, d’Arnaud Ardouin, sort au moment où les Français s’interrogen­t sur la fin de vie de l’un des présidents les plus aimés des Français. Jacques Chirac, rattrapé par la maladie, n’a plus été vu en public depuis l’été 2016. Pour le journalist­e, qui a croisé la route de l’homme politique à plusieurs reprises, ce livre a pris le parti d’essayer « à travers ses derniers moments de vie, de faire des flash-back permanents sur les différents épisodes qui ont marqué sa vie ». Avant même sa sortie, l’ouvrage suscitait la polémique pour avoir recueilli les confidence­s de Daniel Lecomte. L’homme de confiance de l’ancien président - cela faisait plus de 40 ans qu’il vivait dans son ombre - avait relu les épreuves du livre avant d’être terrassé par une crise cardiaque en juillet dernier.

Comment est né cet ouvrage ? D’une lecture, il y a cinq ans. J’étais plongé dans un livre qui s’appelle Les droites en France, et il y a un petit chapitre consacré à la spirituali­té, au mysticisme, qui évoque Jacques Chirac. Cette lecture m’a fait dire que cet homme n’était pas celui que j’avais rencontré dans mes reportages. Je suis parti à la découverte de l’homme véritable, derrière le personnage politique et l’homme public. J’ai découvert, au fil de mon enquête, que Chirac n’était pas vide, qu’il était rempli de millions de choses.

Comment se passe la rencontre avec Daniel Lecomte ? Fin , il m’est présenté comme un collaborat­eur de Jacques Chirac. Je lui explique mon projet, en lui disant que Claude Chirac ne donne toujours pas suite à mes sollicitat­ions. Je lui demande alors s’il serait prêt à me raconter son histoire avec Jacques Chirac. À ce moment-là, je ne sais pas encore qu’il partage au quotidien la vie du président. Il a mis beaucoup de temps à me parler, à confirmer les intuitions que j’avais sur Jacques Chirac.

Comment expliquez-vous la colère de Claude Chirac quelques jours avant la sortie de votre ouvrage ? Probableme­nt a-t-elle peu apprécié que Daniel me parle, ou encore de ne pas être au coeur du dispositif et du projet, car les Français se sentent très proches de son père. Mais comme cela fait trois ans que le président est coupé du monde, j’imagine que mon livre vient tout bouleverse­r. Pourtant, ce livre est un message d’amour: c’est presque un devoir que de leur dire que cet homme finit sa vie paisibleme­nt.

Vous décrivez un homme profondéme­nt humaniste... C’est en effet le fil rouge de ce livre. Beaucoup de proches de Jacques Chirac emploient d’emblée ces mots : humanisme, humanité, mais aussi générosité, pour le décrire. En revanche, on savait moins qu’il eût consacré une très grande partie de sa vie à se plonger dans les arts lointains et notamment les arts asiatiques. Le quai Branly marquait les prémices de ce qu’il voulait être : un musée des civilisati­ons. Car pour lui, aucune civilisati­on n’est supérieure aux autres. C’était une philosophi­e de vie.

À votre avis, a-t-il vécu la vie qu’il voulait vivre ? Quand on analyse sa vie, on voit qu’il a essayé à plusieurs reprises de vivre sa vie, de partir et il n’a jamais réussi à le faire. Chirac, c’est un homme prisonnier de son destin. Bien sûr, personne ne lui a mis un pistolet sur la tempe. C’est un homme ambitieux, qui aime le pouvoir mais en même temps, il rêve d’autre chose. Il vivra sa vie par procuratio­n, à travers celle de Jacques Kerchache, son grand ami avec qui il bâtit le musée du quai Branly, et Christian Deydier, expert internatio­nal en arts chinois. Ces deux hommes, amis du président, ont un point commun : ce sont tous les deux des aventurier­s.

‘‘ Chirac subit, et c’est ce qui rend tragique sa fin de vie”

A-t-il la fin qu’il mérite d’avoir ? J’ai pris le temps de comparer la fin de vie de Mitterrand à celle de Jacques Chirac : François Mitterrand est parti en Égypte avec sa fille, contre l’avis des médecins. Un voyage symbolique. Et puis il s’est éteint. Mitterrand a été maître de son destin jusqu’au bout. Jacques Chirac ne l’est plus. Il subit, et c’est ce qui rend tragique sa fin de vie. Pour un homme qui a autant donné, voyagé, réfléchi, se retrouver dans cette situation d’enfermemen­t est tragique.

S’il était encore en vie, Daniel Lecomte serait-il encore aux côtés de Jacques Chirac après la sortie de votre livre ? Je l’écris dans mon livre : sans Daniel, Jacques Chirac aurait probableme­nt largué les amarres depuis longtemps... Je pense que Daniel aurait eu une explicatio­n un peu sérieuse avec Claude Chirac. Mais ils se connaissai­ent tellement bien tous les deux. Ils ont fait les  coups ensemble, ce sont eux qui ont fait la campagne de . Je pense que Daniel Lecomte ne souhaitait pas communique­r, ni profiter de ce livre. Il ne voulait pas que l’on croie qu’il profite de Jacques Chirac, au contraire. C’est un testament d’amour qu’il m’a livré. Il avait relu les épreuves, une multitude de fois, car à chaque fois, il craignait que je dise du mal du président, ou que j’utilise un mot maladroit. J’espère avoir été juste.

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(Photo Eric Fougères/ Vipimages) Arnaud Ardouin : « Je l’écris dans mon livre : sans Daniel (Lecomte), Jacques Chirac aurait probableme­nt largué les amarres depuis longtemps. »

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