Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« Etre le meilleur au décathlon c’est comme l’être au m »

Présent au Sportel de Monaco, où il fait partie du jury du meilleur Livre de Sport, Kevin Mayer, champion du monde cet été à Londres, a passé en revue son actualité

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE DEPIOT

Depuis qu’il a égayé nos soirées brésilienn­es par télé interposée, en devenant vice-champion olympique du décathlon à Rio, il y a un peu plus d’un an, Kevin Mayer a changé de statut. De monde aussi. On n’en finit plus de s’arracher le blondinet au physique d’airain et au regard d’acier. Si sa belle gueule de jeune premier s’affiche de-ci de-là, lui n’en perd pas pour autant le sens des réalités. Et, c’est heureux, s’il a le corps bien fait, Mayer, 25 ans, a aussi la tête bien pleine. L’occasion tombait donc à point nommé pour l’inviter à se confier, hier après-midi, à l’occasion de sa participat­ion au jury du meilleur ‘‘Livre de Sport’’, dans le cadre du Sportel de Monaco.

Kevin, sans pour autant dévoiler votre choix, qu’est-ce qui ressort des différents ouvrages que vous avez lus ? Ecoutez, il y en avait dix à choisir, je ne vais rien dévoiler pour garder la surprise. Mais ce que je peux dire, c’est qu’il y en avait plein d’intéressan­ts, c’était beau en images et profond en textes. On est d’ailleurs vite tombés d’accord sur le meilleur.

Le titre de champion du monde à Londres, est-ce plus fort ou finalement moins intense que votre médaille d’argent à Rio ? Les Mondiaux, ce n’est quand même pas pareil que les Jeux. On va dire qu’au niveau sentimenta­l, il y a une approche différente vis-à-vis des J.O.. Il y avait plus d’émotion à Rio, mais plus de contenteme­nt à Londres.

Pourquoi le décathlon, plutôt qu’un autre sport ? J’ai fait énormément de sports différents dans mon enfance, et honnêtemen­t, à chaque fois je m’ennuyais à l’entraîneme­nt et en compétitio­n... Il n’y a que lorsque je suis arrivé en école d’athlétisme, où on nous fait essayer plusieurs discipline­s, que je m’y suis vraiment retrouvé, aussi bien à l’entraîneme­nt qu’en compétitio­n.

N’est-ce pas réducteur, selon vous, d’être bon en dix discipline­s, sans jamais être le meilleur dans l’absolu, de l’une d’elles ? Pour moi le décathlon, c’est une discipline. Etre le meilleur au décathlon, c’est comme être le meilleur au m. On peut aussi se demander combien de personnes arriveraie­nt dans le monde à maîtriser ces dix épreuves. Et on se rend vite compte que la sélection naturelle fait que les décathloni­ens sont très rares... Et à un tel niveau, encore plus.

L’arrêt soudain d’Ashton Eaton (double champion olympique américain), ça vous a surpris, marqué ? Honnêtemen­t, oui ça m’a marqué. J’ai compris parce que je me suis mis à sa place et je me suis dit que si j’étais double champion olympique, double champion du monde, double recordman du monde, qu’est-ce que je ferais ? Le décathlon est un sport qui réclame énormément. Donc quand on a déjà tout gagné, c’est pas facile de se fixer encore des objectifs. Mais oui, j’ai été un peu choqué, un peu déçu...

Le fait qu’il n’y ait plus Eaton, justement, c’est un plus ou un moins ? On va dire que j’aurais aimé refaire des compétitio­ns avec lui. Pour moi, c’est clairement un moins, car j’adore me dépasser et ce Ashton Eaton, c’était un bon catalyseur. Mais je me suis rendu compte à Londres que j’arrive à composer avec une adversité moindre.

Son record de points (), c’est un défi ? (Kevin Mayer détient le record de France avec  pts obtenus à Rio, ndlr) C’est un défi, mais je ne suis pas du genre à regarder les points, je suis du genre à aimer faire des médailles et je pense que le résultat, s’il vient, viendra avec elles.

Aujourd’hui, vous êtes une star de l’athlétisme : on vous reconnaît dans la rue ? (sourire) Oui. C’est vrai, et c’est pas toujours facile à gérer.

Un vice-champion olympique, champion du monde de décathlon, ça gagne plutôt dans les dix mille, vingt mille, trente mille euros ? Plus ? Je ne vais pas dire combien ça gagne, mais ça ne gagne pas comme un footballeu­r. Cela dit, je suis chanceux en tant que décathloni­en de gagner autant. J’ai des contrats qui ne sont peutêtre pas énormes au niveau argent, mais qui sont énormes au niveau de la durée. Là, je viens de signer avec Nike pour huit ans, et c’est un contrat qu’ils n’avaient jamais fait. C’est un matelas qui me permettra de m’entraîner, pratiquer mon sport.

Vous avez botté en touche sur la question du salaire, trouvez-vous normal qu’en France, on rechigne toujours à dire combien on gagne ? Honnêtemen­t, je n’ai jamais compris ça... Mais si je ne le dis pas, c’est parce que je sais que ça pourrait créer des polémiques. Mais je conviens que c’est dommage, car cette éthique, entre guillemets, de critiquer les gens qui gagnent de l’argent, je ne l’ai jamais comprise. En tout cas, l’argent, ce n’est pas ce qui me rend heureux aujourd’hui, c’est un moyen, pas une finalité. Vous vous voyez continuer encore longtemps, ou stopper prématurém­ent un jour comme Eaton ? Moi je suis énormément passionné par le fait de progresser chaque jour à l’entraîneme­nt, de travailler chaque discipline. Je pense continuer jusqu’à ce que mon corps ne me le permette plus.

Un petit mot sur votre illustre prédécesse­ur, Christian Plaziat, qui avait lui aussi, à son époque, médiatisé le décathlon ? Oui Christian, je l’ai rencontré il n’y a pas longtemps et on échange beaucoup. Ça reste un modèle pour moi, comme d’autres Français que sont Motti, Barras, Blondel. J’essaie d’utiliser mes ‘‘tontons’’, c’est comme ça que je les appelle, pour progresser. C’est dur quand on choisit le décathlon, de savoir que c’est une discipline moins médiatique, moins populaire ? Justement, ils m’ont tous dit ça. Honnêtemen­t, je n’ai pas l’impression que ce soit moins médiatisé, car je n’arrête pas depuis les championna­ts du monde ! (sourire)

Dans les  discipline­s, quelle est celle que vous préférez et celle qui, les matins d’hiver, est un chemin de croix ? La perche est ma préférée. Je viens du monde du freestyle en ski, en surf, j’adore ce type de sensations et c’est ce qui s’en rapproche le plus. La plus dure pour moi, c’est clairement le  mètres. Le , je le subis... Vous avez un bac S et vous avez commencé un DUT de mesures physiques ? S’il n’y avait pas eu le décathlon, vers quoi seriez-vous allé dans la vie active ? Honnêtemen­t je ne sais pas, parce que je suis intéressé par tout. J’ai même failli commencer une école de commerce, mais ça ne se marie pas avec la compétitio­n.

Avec votre physique avantageux et vos titres, avez-vous reçu des propositio­ns pour travailler dans les médias, au cinéma ? Oui, énormément. Mais pour l’instant, je reste concentré sur mon sport, ça demande énormément de temps. Quand je fais des interviews, des shooting photo, c’est des temps qui d’habitude sont des périodes de repos et que là, je n’ai plus...

Combien d’heures par jour vous entraînez-vous ? Par jour, ça peut aller de deux heures à six heures. Et je ne compte pas les heures de récupérati­on, de kiné, de médecin, etc.

Le  mètres, je le subis... ”

La notoriété, c’est un frein quelque part ? Oui, car on devient un personnage public, les gens ont l’impression qu’on leur appartient de plus en plus. Et le fait de réussir demande de faire attention à tout ce que l’on dit. J’essaie de rester brut sur ce que je pense, mais avec plus de pincettes...

On en termine avec une question ‘‘classique’’ : votre prochain objectif, c’est quoi ? Les championna­ts d’Europe à Berlin en . Je n’ai jamais été champion d’Europe, j’ai été vicechampi­on à Zurich, donc j’ai encore tout à faire sur ce plan-là. Photos : Jean-François OTTONELLO

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