Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

«Onn’est pas nés pour mener une vie limitée»

L’écrivain Alexandre Jardin sera présent à la Fête du livre du Var, ce week-end à Toulon. Un « grand entretien » autour de son dernier roman Ma mère avait raison est prévu dimanche

- PROPOS RECUEILLIS PAR VALÉRIE PALA

Il faut avoir le courage d’aimer! » C’est le message que lance Alexandre Jardin par le truchement de sa mère, dans son dernier roman Ma mère avait raison (Ed. Grasset). Où l’on comprend mieux les obsessions de l’auteur de Fanfan (le bonheur, c’est faire durer les débuts), de Quinze ans après (le bonheur est dans la routine). On découvre aussi le portrait déjanté d’une femme, essence même de la liberté, sans limite et sans filtre, entourée d’amants, véritable personnage de roman d’aventure.

Dans ce livre, vous affinez encore une vision du bonheur et de l’amour parfait. Est-ce que vous pensez avoir trouvé cette fois la bonne recette? Ce n’est pas moi qui l’ai trouvée, c’est ma mère. C’est une des rares personnes sur cette Terre qui s’est totalement autorisée à vivre. On a tous des peurs. Elle, elle refuse absolument d’obéir à ses peurs. Elle se donne le droit d’exister.

C’est une façon de vivre radicaleme­nt différente de celle qu’on a lu dans Fanfan, ou Quinze ans après. Aujourd’hui, vous pensez que c’est la bonne? Je ne dis pas que tout le monde doit vivre comme elle, avec quatre hommes à la maison... Je dis que si c’est notre vérité, il faut la vivre. Ce qui est important, c’est d’arriver à avoir le courage d’être soi. Si votre folie, c’est de vivre comme dans Fanfan, vivez-la! Ce qui est très intéressan­t avec le cas demamère, c’est qu’elle n’est retenue par rien, elle ose. Et elle est absolument vraie, alors qu’il y a des quantités de femmes qui ont des amants – par dépit ou par bonheur –, des amants réels ou des amants imaginaire­s, mais qui ont un mal fou à assumer qui elles sont en réalité.

Vous dites qu’elles manquent de courage en amour et qu’elles préfèrent quelquefoi­s même rêver leur vie... Ah oui! Mais je suis en train de changer radicaleme­nt d’opinion, parce que depuis que ce livre est sorti, je reçois tous les jours une quantité de messages de lectrices qui décident d’être ellesmêmes, et elles sont bouleversa­ntes. Elles posent le livre, et font des choix, soudain! C’est comme si cette lecture catalysait leur besoin d’être elles-mêmes. Alors ça va de la femme, qui, me dit- elle, pose son livre lemardi, quitte son mari le vendredi et fout le camp à Lisbonne le week- end pour rejoindre son amour de jeunesse ; à celle qui, tout à coup, s’aperçoit qu’elle a renoncé à être elle-même dans son couple, et qui reprend les pinceaux et les fusains pour repartir vers sa passion... à une autre qui décide soudain de faire sa vie avec son gendre (rires). Il y a une explosion avec les lectrices de ce livre, qui est incroyable­ment rafraîchis­sante! Elles se mettent à oser, elles se mettent à être vraies! Il y en a une autre qui cachait son fantasme à son mari, parce qu’elle le trouvait cucul la praline: elle voulait être nue recouverte de pétales de roses! Elle n’osait pas le dire. Je me dis que tant qu’on écrira des livres qui permettron­t à une femme d’être nue sous des pétales de roses, tout va bien!

Votremère commet des actes très forts. On comprend pourquoi vous aviez écrit Le Zèbre () en  jours. Vous lui soumettez un premier manuscrit, dont vous êtes insatisfai­t et elle le jette dans le feu de la cheminée... Oui, elle me dit : « Si ce livre n’est pas vraiment de toi, si tu ne le sens pas vraiment de toi, tu ne vas pas publier quelque chose qui ne te ressemble pas! » Hop au feu!

C’est énorme! Oui, parce que c’est une femme qui a le courage d’être elle-même, donc elle ne demande pas aux autres. Je ne sais pas comment est votre vie, mais si vous aimez deux ou trois hommes, je ne pense pas que vous ayez l’intention de leur proposer de vivre tous ensemble avec vous, dès ce soir. Ma mèremontre que, tout simplement, c’est viable.

Ces dernières années, on vous a vu aussi en politique. Est-ce que la politique peut davantage changer le monde que la littératur­e? Pour moi, c’est le même combat, puisque dans tout ce que j’ai fait en tant que militant associatif ou citoyen, ça a toujours eu pour but d’aider les gens à exister, à vivre ce qu’ils sont réellement. J’adore quand les êtres humains courent le risque d’être eux-mêmes, quand ils osent. Je les trouve magnifique­s.

Vous trouviez, lors de sa campagne qu’Emmanuel Macron était « comme une boîte de prod’ ». C’est toujours le cas? Les simples citoyens que nous sommes n’existent pas plus aujourd’hui qu’avant. Le système a changé d’apparence, mais la France verticale dirigée par Paris est intacte. Mais le problème, ce n’est pas lui. C’est nous! Est-ce qu’on va s’accorder assez d’importance pour exister à nos propres yeux?

Vivre sa liberté, c’est aussi parfois faire dumal aux autres, comme on le voit dans le livre... Être vivant, ça va parfois avec une forme de violence. Être vivant, ça n’est pas guimauve, hein. Ma mère dégage quelque chose qui me paraît infiniment précieux, une confiance illimitée dans la vie.

Qu’a-t-elle pensé de votre livre? Je ne le saurai jamais. Car je ne sais pas si elle l’a lu. Mais j’ai une certitude, c’est qu’elle ne me le dira jamais, parce qu’elle est contre l’idée de porter des jugements les uns sur les autres, dans une famille. Pour elle, la famille doit être le lieu d’exercice de la liberté.

Comment vous voyez-vous à  ans, l’âge de votre mère? J’espère à cet âge-là ne plus obéir à aucune de mes peurs. Il m’en reste. J’aimerais atteindre ça. On n’est pas nés pour mener une vie limitée. L’aventure d’être soi doit rester quelque chose d’audacieux. Et quand on court le risque d’être vrai, dans son couple, en famille, je pense que c’est contagieux, ça fait un bien fou aux autres.

Fête du livre du vendredi 17 au dimanche 19 novembre, place d’Armes àToulon. Entrée libre. Grand entretien avec Alexandre Jardin, dimanche à 15h30.

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(Photo JF Paga) « Tout ce que j’ai fait a toujours eu pour but d’aider les gens à exister. »

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