Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
250 auteurs attendus
Il y a 20 ans, du 14 au 16 novembre 1997, se tenait la première fête du livre organisée par le Département. Le but: torpiller celle de la municipalité FN. Une bataille engagée en 1995…
Du Goncourt aux meilleurs dessinateurs de bandes dessinées, 250 auteurs dédicaceront leurs oeuvres à partir d’aujourd’hui. Une fête ouverte à tous les publics, fidèle à ses racines. Gaspard Gantzer sera présent.
Ces jours-là de 1997, Toulon est coupée en deux. Scindée, de façon presque irréconciliable. Dans la rade, deux France se font face. L’une se matérialise sur la place de la Liberté. Du 14 au 16 novembre, la mairie, tenue par l’équipe Front national de Jean-Marie Le Chevallier, y a organisé la « fête de la Liberté du livre et de la francophonie». L’autre est sur le port de commerce, non loin des actuels quais des ferries, or du giron de la mairie. Le Conseil général, emmené par Hubert Falco, a dressé les installations de la « Fête des livres en toute liberté ». Loin d’être une simple bisbille entre élus, ce clash livresque est une lutte à mort.
Trois actes
«Quand Falco a annoncé qu’il allait monter la première fête du livre du Département, en 1996, c’était avec l’objectif de torpiller la fête du FN», confie Alain Bacharach, patron de la librairie Gaïa depuis 1978. Rembobinons. Cette guerre des livres se jouera en trois actes. Aux élections municipales de 1995, Jean-Marie Le Chevallier remporte le siège de maire contre François Trucy. Le pays voit alors avec stupeur s’installer un pouvoir d’extrême droite dans une ville de plus de 100 000 habitants. La fête du livre municipale, créée dans les années 1980, est alors un des terrains d’affrontement. A la tête de ce premier raid : Mourad Boudjellal et Charlie Hebdo. L’actuel boss du RCT dirige alors la librairie Bédule et les éditions Soleil. « J’avais rencontré Philippe Val et les gars de Charlie Hebdo à Paris, et on s’est mis d’accord pour créer un bouquin conjointement», confie Mourad Boudjellal. Cavanna, Wolinski ou encore Cabu sillonnent Toulon pour croquer la ville. Un numéro spécial de 48 pages, « Charlie Hebdo saute sur Toulon » sort justement lors de la première fête du livre à la sauce Front national ! «Cabu avait fait l’affiche et on vendait ces livres comme des petits pains, on les sortait directement des cartons ! », s’amuse aujourd’hui Mourad Boujellal. « Mais bon, dans la fête, l’ambiance était lourde… » Il est vrai que Jean-Marie Le Pen caricaturé en vieille cagole toulonnaise n’a pas du être au goût du maire d’alors. « Il ne se passe rien de particulier, tous les libraires de Toulon vont à la fête, mais en se bouchant le nez…», se souvient Alain Bacharach. « Tout le monde est encore stupéfait que le FN ait pris Toulon », poursuit le libraire. Le deuxième acte se joue lors de la fête du livre de 1996. « La mairie avait exigé que les libraires mettent dans leurs stands des auteurs affilés au FN. On a refusé que l’on nous impose des écrivains uniquement pour leur couleur politique, donc certaines librairies n’y sont pas allées, dont la mienne», se souvient Alain Bacharach. D’autres, comme Charlemagne, y vont. « Les grands éditeurs avaient décidé de boycotter l’événement. Nous, on n’avait pas d’auteurs frontistes sur notre stand, mais on avait dit que l’on ne participerait que s’il n’y avait pas d’affichage politique», explique Olivier Rouard, alors directeur des librairies Charlemagne depuis un an. Sauf que la sauterie « littéraire » part en sucette dès le premier jour. « Il y avait des affiches du magazine Présent, qu’on a fait enlever… » Puis Mourad Boujellal interpelle Farid Smahi, auteur d’un livre au titre évocateur : « Faut-il brûler les Arabes de France?» « Je lui ai demandé s’il y avait des cas où c’était oui… », glisse Mourad Boudjellal. Pour toute réponse, le futur patron du RCT se fait virer manu militari. « En voyant ça, le stand de la librairie Charlemagne a alors décidé de prendre ses cliques et ses claques », complète Olivier Rouard. Mais ce qui met le feu aux poudres, c’est la mairie jugeant la venue de l’écrivain d’origine polonaise Marek Halter «inopportune ». En réponse, la librairie communiste La Renaissance et Danielle de March, ancienne députée européenne, organise une contre-fête à La Garde. «C’était un moment de résistance ! », s’écrie Mme de March. Parallèlement, « Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Culture, invite tous les libraires ayant boycotté la fête FN à déjeuner dans le Mourillon. Là-dessus, Falco arrive et dit que l’année prochaine se tiendra la première fête du Livre du Var », détaille Alain Bacharach. « Après, ça tout le monde est parti à Châteauvallon», où un standing ovation est réservé à Marek Halter.
Barbecue fatal
Troisième round. En 1997, la fête du livre du Var aligne trois cent auteurs, dont le Goncourt Patrick Rambaud. 50 000 personnes s’y rendent. De son côté, la fête FN, avec Maïté en guest-star, fait un bide. « Il y a une foire aux livres et une foire de gens qui descendent de gens qui brûlent des livres», glisse alors Patrik Rambaud. «À partir de 1998, il n’y a plus eu de fête du livre municipale », souffle Alain Bacharach. Les gens qui brûlent les livres finissent toujours mal…