Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Le sort d’une trace de dinosaure découverte à Sanary interpelle
Prélevée à Portissol, une contre-empreinte vieille de 200 millions d’années avait été sauvée de l’érosion au profit du muséum d’histoire naturelle de Toulon… qui l’a, depuis, déposée dans un jardin public
Pour un promeneur, impossible de reconnaître, là, une trace de théropode datant de 200 millions d’années. Et c’est tout le problème. Posé au milieu des feuilles mortes dans un recoin du Jardin du Las, à Toulon, sans le moindre panneau explicatif pour l’identifier, on dirait un gros caillou de plus au milieu d’imposants blocs de calcaire. Pourtant, quand on le sait donc, on distingue parfaitement ce qui fait l’exceptionnel de ce petit rocher : trois doigts en relief d’une trentaine de centimètres chacun. Rien de moins que la contre-empreinte(1) d’un pied de dinosaure carnivore qui se baladait, dans la nuit des temps, du côté de Sanary et de la baie de Portissol. À ce titre, ce témoignage rare est l’une des plus vieilles pièces du patrimoine varois.
« Il est à la merci des éléments »
Extraite des falaises de la Cride en septembre 2016 la trace en question semble donc être retombée dans l’oubli aussi vite qu’elle avait connu la lumière. Entre octobre et mars dernier, elle avait en effet eu les honneurs d’une formidable exposition sur « la paléontologie dans le Var » au muséum d’histoire naturelle de Toulon et du Var, structure départementale au profit de laquelle elle avait été prélevée. Et c’est ensuite ce même muséum qui a décidé de la laisser « traîner » à l’extérieur, dans ce parc public situé à deux pas de ses réserves, provoquant l’indignation de certains amateurs de paléontologie. La Mandréenne Coelia Priam est de ceux-là. « Je me promenais en famille quand je l’ai vue, explique-t-elle. Même si les traces sont ténues, je n’ai vraiment aucun mérite à l’avoir reconnue : j’avais participé comme bénévole à l’opération pour remonter cette contre-empreinte l’an dernier. Mais si on ne sait pas ce qu’est ce rocher, on ne le voit même pas ! Et franchement, le jeter dehors comme ça, à la merci des éléments, c’est scandaleux.» Car d’après elle, l’opération sanaryenne «assez complexe », menée par le géomorphologue Stephen Giner, visait justement à sauver cette pièce de l’érosion et des agressions de la météo. Ce dernier nous expliquait d’ailleurs à l’époque qu’il imaginait que ce fragment original, le seul de ce site « relativement rare en Europe », serait ensuite « conservé, avec un numéro d’inventaire, dans la collection départementale. » Perdu. Que s’est-il passé, alors, pour que la contre-empreinte soit ainsi délaissée dans un recoin du parc ? Certains évoquent un conflit de personnes aux centres d’intérêt divergents. Le conservateur François Dusoulier, davantage passionné par la biodiversité actuelle que par la paléontologie, s’en défend. Et - il faut le dire - plutôt bien, arguant qu’une mise en valeur de l’objet serait même dans les tuyaux (voir par ailleurs). Une chose est sûre : alors que les dernières contre empreintes de Sanary découvertes en 1964 sont (très) doucement en train de disparaître, la seule qui avait jusqu’alors été sauvée pourrait, si rien n’est fait, ne guère se voir offrir davantage de chances de défier l’éternité. Victime inexorable de l’oubli. 1. Alors que l’empreinte marque un creux, la contre-empreinte, elle, est en relief. Elle est formée par un dépôt de sédiments dans une trace de pas qui s’est ensuite fossilisée.
2. Le bloc s’était désolidarisé de la falaise et se trouvait donc hors contexte géologique, à même d’être extrait à des fins de conservation.