Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

L’incroyable retour à la vie de Pierre à la vertèbre éclatée

En toussant, Pierre, atteint d’un myélome, a senti une cervicale éclater. Maintenu par un corset sur-mesure, il a pu être sauvé grâce à une interventi­on jamais réalisée auparavant

- JOËLLE DEVIRAS

ans l’armée, j’ai frôlé tous les dangers, poussé par l’adrénaline. Je dansais avec la mort. J’avais l’impression de tout maîtriser. » Pierre, 51 ans, atteint d’un myélome (une forme de cancer des os), a bien failli être tétraplégi­que. Aujourd’hui, après l’interventi­on du Dr Philippe Brunner qui a décidé de cimenter sa deuxième vertèbre cervicale (l’axis) en lui glissant une aiguille par la gorge, Pierre est debout. Debout oui… quand tout le monde le voyait intubé avec juste les paupières encore mobiles comme seule expression de son humanité. Le 26 septembre, en se mouchant, il a senti sa vertèbre éclater. « J’ai immédiatem­ent compris qu’il ne fallait plus que je bouge. Les pompiers sont arrivés. Ils m’ont d’abord emmené à Cannes. Durant trois jours, je me suis tenu la tête avec les mains. » C’est enserré dans un corset rigide de la tête jusqu’au bassin l’empêchant de bouger la tête d’un millimètre que Pierre est arrivé au centre hospitalie­r PrincesseG­race (CHPG) de Monaco pour rejoindre son oncologue le Dr Georges Garnier qui l’a aussitôt confié au Dr Philippe Brunner, chef de service de radiologie interventi­onnelle. La vertèbre fragilisée pouvait à tout moment sectionner la moelle épinière ou l’endommager, occasionna­nt des troubles neurologiq­ues graves.

En passant par la bouche

Il s’est agi de pratiquer une cimentopla­stie, c’est-à-dire une consolidat­ion par injection de ciment dans la vertèbre. « La technique convention­nelle consiste à atteindre la vertèbre par la nuque. Mais dans le cas de Pierre, ce n’était pas possible car il y avait un risque fragilisan­t des arcs postérieur­s», explique le Dr Philippe Brunner. L’opération a donc été effectuée par la bouche, sous anesthésie générale. Une première. «Ce qu’a fait Philippe Brunner, c’est un truc de fou. Je lui ai dit: “J’ai vécu toute ma vie debout ; je veux rester debout ; sinon, je préfère mourir. Il faut aller d’un côté ou d’un autre du fleuve. ”» « Mon interventi­on a duré exactement huit minutes, explique le radiologue. Il voulait soulever sa gamine de 11 ans. Ça, ça donne une énergie folle. » Huit petites minutes mais des jours et des heures à ne penser qu’à cela. « J’étais dans mon monde; j’étais dans ma bulle. J’ai dormi quelques heures avant l’interventi­on. Je me suis réveillé à 4 heures. Le risque était ultracalcu­lé. J’étais très confiant. J’ai voulu faire du fonctionne­l. Je n’avais pas le choix. Alors, je suis passé par le pharynx. C’est dans le bulbe rachidien que tout se passe. Il fallait que le ciment soit comme un miel qui goutte. Un des risques était qu’une fuite de ciment dans une veine ou dans le canal rachidien comprime la moelle épinière. Tout le monde était inquiet. À la fin de l’interventi­on, les infirmière­s m’ont dit : “Et maintenant, qu’est-ce que l’on fait ? ” J’ai répondu : “Enlevez-lui le corset et donnez-le à Emmaüs. »

« Je me sens vivre »

Aujourd’hui, Pierre rend régulièrem­ent visite au Dr Brunner dans son bureau. Ils parlent, discutent, échangent, évoquent leurs souvenirs, refont le monde. «On ne sauve pas toujours des vies. L’histoire de Pierre est l’une des plus belles que j’ai écrites sur ma route. C’est intense, Pierre revient à la vie, à sa vie, celle qu’il porte à bout de bras dans des situations terribles depuis son engagement dans l’armée! Le bonheur que je lis dans ses yeux est une source énergie incommensu­rable. » Pour Pierre, cette interventi­on est plus qu’une vie retrouvée ; c’est une nouvelle existence. « Aujourd’hui, je me sens vivre. Quand je suis descendu au bloc, je ne pensais pas en remonter. Je n’avais ni peur ni inquiétude. Après une telle interventi­on, ça vous fait rencontrer la vraie vie et l’amour. Vous mesurez la dette que vous avez. Il faut l’honorer après, en essayant de rendre la vie plus simple aux autres. J’ai décidé de rire, de revenir aux choses les plus simples. Je fumais. Je roulais vite. Tout ça, c’est fini. Il y a des gens qui se sont donné du mal pour me sauver. Je n’ai pas le droit de les décevoir. Je dis “merci ” à la vie tous les jours. » Alors dans le bureau du Dr Brunner, parmi les radiograph­ies et autres publicatio­ns scientifiq­ues, il y a comme un doux vent de philosophi­e, de spirituali­té même, d’amitié surtout, de rire, de larmes. « L’espoir existe, insiste Pierre. Philippe en est la preuve vivante. C’est lui qui a pris le risque. Et j’en suis le témoin. »

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