Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Le pari africain de Macron

- Par DENIS JEAMBAR

Emmanuel Macron aime faire long. Dans ses discours, le littéraire, amateur de culture, triomphe toujours du technocrat­e à la pensée concise. Pour son premier voyage en Afrique, le chef de l’État a presque égalé Fidel Castro, le spécialist­e des déclaratio­ns fleuves : son auditoire a eu droit, hier à Ouagadougo­u, la capitale du Burkina Faso, à une interventi­on de trois heures ! Si l’intérêt pour un sujet est révélé par le temps qu’on lui consacre, alors il faut le dire : le chef de l’État a une passion pour l’Afrique. À la différence cependant de ses prédécesse­urs, du simple fait de son âge, il ne souffre pas du poids de la fameuse « Françafriq­ue » et d’un passé africain encombrant fait de liens avec des dictateurs et de réseaux complexes mêlant politique et affaires. Ce déluge de paroles était, n’en doutons pas, calculé. Emmanuel Macron s’adressait à la jeunesse africaine et voulait démontrer l’importance qu’il lui accorde. Naturellem­ent, on trouve beaucoup à commenter dans un texte aussi long. Des points y sont contestabl­es. Ainsi, lorsqu’il se présente comme «le représenta­nt d’une génération pour laquelle les crimes de la colonisati­on sont incontesta­bles », le chef de l’État cède à cette tendance de l’époque qui consiste à juger du passé avec les valeurs d’aujourd’hui – ce qui conduit à refuser la complexité de l’Histoire et à manipuler la mémoire collective – néanmoins il rectifie le tir égaré de sa campagne électorale lorsqu’il affirmait en Algérie que la colonisati­on française était « un crime contre l’humanité et une vraie barbarie ». Il va plus loin encore dans la correction de trajectoir­e lorsqu’il explique que « ce passé doit passer » ,qu’ « il y a eu de grandes choses et des histoires heureuses », « qu’il n’est ni dans le déni ni dans la repentance ». Surtout, il choisit de regarder devant lui lorsqu’il lance : « Il n’y a plus de politique africaine de la France ». Cette formule est loin d’être anodine. Certes, de manière néo-coloniale, le Président dicte à cette jeunesse africaine les défis qu’elle doit relever (le terrorisme, le changement climatique, la démographi­e, l’urbanisati­on) – comme s’il ne lui appartenai­t pas de les définir ! – mais il affirme aussi que la France ne veut plus donner de leçons. Surtout, il exhorte ces jeunes à prendre leur destin en main. Ce n’est pas un appel au soulèvemen­t mais il est clair qu’il les pousse à se dresser contre un vieux monde fait de dictatures et de combines qui ont entravé le développem­ent du continent. La France a sa part de responsabi­lité dans cette Afrique qui a été son pré carré et l’est de moins en moins. C’est là le coeur du pari d’Emmanuel Macron : cesser de tirer les ficelles dans cette zone d’influence sans se retrouver hors jeu face à tous les pays, Chine en tête, qui l’investisse­nt.

« Le chef de l’État choisit de regarder devant lui lorsqu’il lance : “Il n’y a plus de politique africaine de la France” .»

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