Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« Choisi en tant qu’homme »

Le Forum, né il y a tout juste dix ans, s’est ouvert mercredi par le discours touchant du nouvel ambassadeu­r Didier Drogba. Pour lui, trouver la paix à travers le sport est bien plus qu’un concept

- PROPOS RECUEILLIS PAR ROMAIN LARONCHE

Il y a 12 ans, à peine la qualificat­ion pour le Mondial 2006 acquise, Didier Drogba prenait la parole pour pacifier son pays, la Côte d’Ivoire, en proie à la guerre civile. Hier c’est tout logiquemen­t qu’il a fait son entrée parmi les ambassadeu­rs de la paix de la Fondation née il y a dix ans à Monaco. Aux côtés de Joël Bouzon, le fondateur du mouvement, celui qui est toujours footballeu­r à 39 ans, à Phoenix en D2 américaine, a pris le micro pour prêcher la bonne parole. Un message porteur et un VRP de premier plan pour l’organisati­on aux dix bougies.

Comment accueillez-vous le fait de rejoindre Peace and sport ? C’est un honneur, surtout quand je vois tous ces grands champions de la paix. J’ai été choisi en tant qu’athlète, mais surtout en tant qu’homme grâce à l’impact que j’ai pu avoir sur les fans, pendant ma carrière, mais surtout sur le peuple ivoirien pendant un moment de crise dans le pays. On (les ambassadeu­rs) doit profiter des grands événements comme la Coupe du monde ou les JO pour faire passer des messages de paix qui seront entendus partout dans le monde. Je dis souvent que le football est un ambassadeu­r de paix.

La Côte d’Ivoire était particuliè­rement divisée lorsque vous avez pris la parole à Khartoum en octobre . Votre discours a eu un impact fort ? Le pays était divisé en deux. A partir du début des années , les Ivoiriens ne se parlaient plus. Il y a plus de  ethnies et il y avait un véritable problème identitair­e. J’ai intégré l’équipe nationale en , qui était composée de  joueurs, issus d’ethnies différente­s, qui s’entendaien­t tous pourtant bien. Nous étions un jeune groupe, qui gagnait des matchs et on a réussi à se qualifier pour la première fois de l’histoire du pays à la Coupe du monde, en . On était tous touchés par les événements. A l’issue de ce match où on se qualifie contre le Soudan, on met tous les genoux à terre et je prends la parole et lance un appel au peuple ivoirien, aux politicien­s pour qu’ils déposent les armes, s’assoient autour d’une table, trouvent une solution, et que le peuple ivoirien ne souffre plus de cette situation de guerre. A ce moment-là, je n’ai pas mesuré la portée de ce message qui est passé tous les jours juste avant les journaux de h et h pendant presque un an. Ce message a eu un impact très important dans le processus de paix et de normalisat­ion qui a amené les élections en Côte d’Ivoire.

Quelle place a eu le sport dans votre vie d’homme ? Le sport est un vecteur de rassemblem­ent, de joie, de partage et d’épanouisse­ment. Ça l’a été et ça l’est encore pour moi. Qui aurait pensé quand j’avais  ans et que j’ai quitté la Côte d’Ivoire pour aller vivre chez mon oncle en France que je serais là aujourd’hui devant vous. Je le dois au sport.

Vous souhaitez rendre ce que le sport vous a donné à travers votre Fondation Didier Drogba ? Je veux être utile. Je suis content que Peace and Sport et ma Fondation s’associent sur des projets. On se focalise sur l’éducation, qui est la base de la stabilité économique et politique d’un pays. Le sport peut permettre aux jeunes de rêver d’être les prochains Ronaldo, Messi, Eto’o et leur éviter de faire des bêtises. Mais aussi sur la santé, qui est un problème en Afrique.

Quel est le rôle de votre Fondation ? Elle existe officielle­ment depuis , mais depuis , on a commencé un travail dans les orphelinat­s. Il y a  ans, j’ai eu l’ambition de créer une clinique, qui vient de sortir de terre. On travaille avec le ministère de la Santé pour qu’elle ouvre très rapidement. Comme je ne peux pas en construire partout dans la Côte d’Ivoire, on a lancé le concept d’une clinique ce petit bout d’homme qui a eu cette idée pour les plus démunis, ça m’a beaucoup touché. Et je l’ai encouragé. Car plus on est de sportifs à utiliser notre notoriété pour faire le bien autour de nous, mieux c’est.

Quand vous voyez la portée de votre “appel de Khartoum”, vous vous dites que vous pourriez vous investir dans la politique, comme George Weah ? Je pense qu’à partir du moment où on se lance dans le social comme j’ai pu le faire, indirectem­ent on fait de la politique parce qu’on essaie de changer le bien-être des gens. Mais je me limite à la politique sociale. Avec le travail de la Fondation Didier Drogba, je suis au coeur des vrais problèmes. Ce message, je l’ai toujours dit, j’aurais aimé ne pas avoir à le faire. J’ai utilisé ma notoriété, j’ai pris en compte le fait qu’à travers le foot, j’ai réussi à avoir un impact sur les population­s. Et si j’ai eu cet impact, c’est également parce que je suis neutre au point de vue politique et j’entends le rester. C’est ma plus grande force. Quand on se lance dans la politique, on perd certains admirateur­s.

Qu’est-ce qui est le plus fort, soulever des trophées ou sentir qu’on est utile ? Les deux le sont, car dans les deux cas on amène des émotions fortes. C’est incomparab­le, mais la Fondation, c’est plus que du foot.

Un mot sur l’absence de la Côte d’Ivoire à la prochaine Coupe du monde ? C’est la première fois depuis  qu’on est absent. C’est vraiment dommage pour cette jeune génération, mais ce n’est pas une surprise non plus, vu l’état du football ivoirien actuel, vu comment ça a été géré. Quand on n’est pas capable de gagner à domicile contre une équipe (le Maroc), c’est difficile d’espérer aller au Mondial.

Je n’ai pas mesuré la portée de ce message”

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