Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
État des lieux
La sécheresse estivale devenue hivernale a laissé des stigmates bien visibles en forêt. Pour comprendre ce qui s’y joue et appréhender une réalité plus complexe, un agent de l’Office national des forêts joue les éclaireurs sur la piste Lambert, à Bormes-l
Les conséquences de la sécheresse sur la végétation sont bien visibles. La prolifération des bactéries et la pollution dessinent toutefois une réalité plus complexe. Sur le terrain, un agent de l’ONF nous éclaire.
Ceux qui se sont offert une balade en forêt ces derniers mois et semaines auront probablement remarqué une réalité bien visible. Ça et là, les nombreux houppiers de couleur jauneroux et le dessèchement d’arbres à feuillage persistant témoignent d’une évolution du milieu. La forêt méditerranéenne est en pleine mutation ; le réchauffement climatique galopant et les années de sécheresse récurrentes n’y sont pas étrangers. 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2016 (et 2017 ?) ont toutes été des années de sécheresse hivernale.
Espèces fragiles
Les chênes verts, les chênes lièges et les pins maritimes sont les espèces principalement touchées. La mortalité est d’autant plus perceptible sur les crêtes où l’érosion des sols est la plus importante. Alors, tous victimes de la sécheresse estivale qui pourrait également être hivernale ? On peut prosaïquement le penser mais la réalité est plus complexe. Pour comprendre ce qui est en train de se jouer dans nos forêts, on a emboîté le pas de Luc Blaison, agent de l’Office national des forêts (ONF), référent pour la forêt domaniale des Maures. « La sécheresse n’est pas seule responsable de la mortalité d’espèces forestières », prévient en préambule notre guide lancé sur la piste Lambert, partiellement enneigée.
Sécheresse, pollution et nuisibles : un cocktail Molotov
Premier stop devant un chêne vert en fin de vie. D’une simple pression, l’écorce craquelée saute, témoignant de l’attaque de la bactérie Xylella fastidiosa. « Elle a mangé les tissus », explique le forestier qui fait remarquer la présence de deux petits trous sur la même branche : une autre attaque d’insecte. « Plusieurs cortèges d’insectes se sont installés ces dernières années. Ils attaquent les végétaux déjà affaiblis, qui ne peuvent plus résister à un stress hydrique plus poussé », détaille Luc Blaison. Du cynips du châtaignier, identifié en 1947 au Japon, à la cochenille du pin, observée pour la première fois dans le Var en 1958, en passant par la cicadelle africaine, les nuisibles sont en phase avec la mondialisation et sont venus s’ajouter à la liste des éléments pathogènes déjà présents localement. Et à chaque territoire sa vérité. Par exemple, la cochenille (matsucoccus) fait davantage de dégâts en Méditerranée (120 000 hectares détruits en 20 ans) qu’en Corse et dans les Landes où elle est également présente. Les végétaux subissent également les effets de la pollution avec un air davantage chargé en éléments corrosifs. « Ils changent pour s’adapter à un environnement chimique différent », note notre guide.
La réponse de la nature
Face à ces attaques, la nature s’adapte. C’est dans sa nature. Et la vérité peut être facétieuse. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, un arbre en partie desséché n’est pas en train de mourir. Il apporte une réponse à l’agression (stress hydrique) qu’il subit depuis plusieurs mois. « Il suit l’évolution de la sécheresse. Il perd une partie de ses feuilles pour économiser de l’eau. Il est en bonne santé, il travaille bien », assure celui que ses amis surnomment « le berger des arbres ». Dans la famille chêne vert, les pertes sont pourtant nombreuses. Idem du côté du chêne-liège qui est globalement en proie à un processus de dépérissement observé depuis les années 1980. En cause : un vieillissement et un abandon de la suberaie, conjugués aux attaques bactériennes et donc aux épisodes répétés de sécheresse. Et pourtant, lui aussi, se défend. Luc Blaison : « Après la sécheresse hivernale de 2003, on a constaté que le chêneliège a refait des feuilles plus petites et plus poilues pour capter la rosée. Et il a survécu. D’une manière générale, on a perdu les réserves utiles dans la terre. Il y a moins d’eau mais les plantes s’hydratent grâce à la rosée », indique-t-il en citant en exemple certaines espèces d’oliviers en milieu désertique qui captent jusqu’à un demi-litre d’eau la nuit et en plein été. Et les stratégies de survie sont multiples. Certains arbres rongés par la maladie ou desséchés, apportent une flamboyante réponse avant de mourir : la fructification. « C’est leur chant du cygne pour assurer la survie de l’espèce », dixit Luc Blaison. Face à l’attaque des bactéries, d’autres espèces vont développer davantage de tannins pour se rendre moins consommables.
Pas de conclusion hâtive
Alors, faut-il s’inquiéter de la mortalité croissante des végétaux ? Est-on en train de vivre le prologue d’un changement en profondeur des forêts méditerranéennes ? A ce stade de connaissance, il ne faut évidemment pas s’emballer. Drapé de sagesse, Luc Blaison renie toute conclusion hâtive. « Le constat que je peux faire est que la forêt méditerranéenne est déjà très adaptée. Elle a mis des milliers d’années à s’adapter et elle a cette capacité à résister à de grosses amplitudes thermiques. On sait que l’épisode actuel est délicat et peut faire peur, mais on sait aussi que les végétaux s’adaptent. Ils n’auront peutêtre plus la même densité de feuillage, mais la réponse est là. On attend de savoir comment la forêt va réagir à cette évolution des éléments climatiques et chimiques. »